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P. TANNERY.le monisme de mélissos

peut-être le Samien lui-même, directement interrogé, n’aurait pas mieux su le satisfaire.

Mais non, ce ne peut être l’Univers phénoménal que cet Être éternel, illimité, unique, immuable, indivisible et incorporel, que proclame Mélissos. Qu’est-ce donc et de quoi s’agit-il ? Nous ne pouvons nous tromper à cet égard. À qui ont servi toutes ces thèses ontologiques, par qui ont-elles été reprises, si ce n’est par les théologiens ou les déistes ?

Qu’elles aient été appropriées au point de vue spiritualiste, tandis que Mélissos était évidemment moniste, il n’y a là rien d’étonnant, et il n’y a pas eu besoin de les dénaturer. Le Samien a laissé de côté tout ce qui concerne les phénomènes, si ce n’est pour en nier la réalité ; son œuvre est donc restée un cadre vide qui se prête également au panthéisme comme au monothéisme.

III. Quelle est cependant la valeur propre de cette œuvre ? Est-elle en rapport avec l’importance du rôle historique qu’elle a joué ? Était-ce à bon droit que le hardi penseur a abandonné le premier l’étude des phénomènes de la nature pour essayer de conquérir un nouveau domaine et d’y construire un monument plus solide que les hypothèses physiques de ses précurseurs ?

Toute sa dialectique repose sur une acceptation du mot Être, qui, pour légitime qu’elle soit aux yeux du métaphysicien, est purement abusive pour l’empiriste. La célèbre formule qui est au fond : Ce qui est est, ce qui n’est pas n’est pas, peut-elle signifier autre chose que : Ce qui est blanc est blanc, ce qui n’est pas blanc n’est pas blanc ? Être est une copule, non un prédicat ; on est de quelque façon déterminée. Être absolument, sans relation à rien, cela n’a aucune signification.

Le métaphysicien prétend le contraire ; mais, au moins comme forme, il a tort ; il lui est en effet impossible de convaincre son adversaire. Comment forcer quelqu’un à croire qu’il entend ce qu’il déclare ne pas entendre ? Comment lui donner une explication de ce qui, par définition, ne peut être expliqué ?

L’empiriste peut donc consentir seulement à examiner les thèses ontologiques en rétablissant la seule acception du mot Être qu’il puisse concevoir. Dès lors le sens transcendantal des termes ne peut être conservé ; on retombe nécessairement dans l’immanence, et c’est en cela que la critique aristotélique reprend sa valeur.

Mais s’il est possible de faire abstraction de la forme dialectique, et si l’on considère le fond des choses, on ne peut nier que la science moderne, malgré toutes les prétentions que les empiristes affichent à son propos, n’ait adopté un certain nombre de postulats qui ressemblent singulièrement aux thèses de Mélissos. C’est donc en examinant comparativement ces postulats qu’on peut parvenir à apprécier la valeur réelle de ces thèses.

L’être est éternel ou plutôt, avec le sens qu’attribue à cette formule