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toire à l’étude des phénomènes humains, psychologiques et sociaux.

Même ainsi réduite, l’histoire peut avoir un autre rôle que de satisfaire cette vanité nobiliaire qui nous fait prendre intérêt aux aventures de nos ancêtres. Elle étudie des phénomènes qui peuvent fournir quelques matériaux à la construction d’une science plus générale ; elle emploie une méthode qui s’applique à tout un ordre de sciences. — Les phénomènes psychologiques du passé ne sont pas identiques à ceux du présent ; beaucoup ont disparu avec les conditions qui les avaient fait naître et, s’il ne reste plus un seul endroit où ces conditions aient persisté, ce sont des faits disparus sans retour. Une langue qu’on a cessé de parler, une coutume qu’on n’observe plus, une croyance morte sont des faits qu’aucune observation directe ne peut plus atteindre. Ce sont pourtant des faits utiles à connaître, au même titre qu’une langue, une coutume, une croyance vivantes qu’on observe directement. L’étude de ces faits disparus agrandit le champ de l’expérience psychologique, elle fournit des éléments nouveaux à la comparaison d’où sortiront les lois générales de la psychologie. Ce service doit assurer à l’histoire une place petite, mais légitime, dans l’ensemble du savoir humain.

La méthode historique mérite une place beaucoup plus large. Elle est, en fait, la seule méthode applicable à toutes les études descriptives de phénomènes psychologiques et sociaux (économie politique, statistique, jurisprudence, psychologie descriptive). Toutes, il est vrai, reposent en principe sur l’observation directe, et, en effet, quiconque étudie une de ces espèces de phénomènes connaît quelques phénomènes de cette espèce directement pour les avoir observés lui-même. Un jurisconsulte a assisté à quelques procès, un économiste a vu conclure des marchés, un statisticien peut avoir pris part à quelques opérations de recensement. Mais qui voudrait se charger de construire une science avec les faits qu’il a observés personnellement ? Non seulement chaque observation exige trop de temps, et chaque homme en a trop peu pour qu’une vie d’homme suffise à réunir les matériaux d’une science ; mais les phénomènes psychologiques et sociaux se prêtent mal à l’observation directe. L’observateur ne peut saisir qu’un fait actuel, et d’ordinaire un fait psychologique n’est actuel que pendant un moment ; l’instant d’après, il n’est qu’un fait passé. Avant que l’observateur ait eu le temps de le fixer, il est déjà disparu ; il ne reste plus à étudier que ses traces, il ne peut plus être connu que par voie historique. Presque tous les faits dits contemporains sont des faits passés pour celui qui les étudie. Le discours prononcé dans la journée à la Chambre n’est plus le soir qu’un fait historique de même nature que les campagnes