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de Pascal ne préserva point ce grand halluciné de ce mal d’amour, où le sentiment dicte la loi à la raison. L’élimination de Die n’y fait rien. Malgré la sécheresse de son cœur, l’astronome La Place était épris de l’astronomie et de soi-même. L’autolâtrie peut n’être qu’une des formes du mysticisme, comme le panthéisme et le culte des forces de la nature qui fit tourner tant de têtes philosophiques au xviiie siècle.

En embrassant l’humanité dans ses adorations, d’après cette incontestable vérité, que les morts gouvernent les vivants, A. Comte ne se borna point, comme on l’a cru, à un culte vague, qui devait lui rendre facile l’autolâtrie. S’il s’aima lui-même, et beaucoup, dans l’humanité substituée à la divinité, il sut faire la part des morts illustres par leurs bienfaits, ainsi que l’atteste le calendrier positiviste, œuvre ingénieuse et patiente d’un esprit qui excellait et se plaisait aux combinaisons savantes. À la vérité, on peut s’étonner de voir, parmi les douze grands dieux de ce Panthéon, César et Frédéric II, à côté de Charlemagne ; mais la politique des résultats, la seule qui soit vraiment positive, séduisait A. Comte jusqu’au point de le rendre injuste contre les hommes de foi courageux qui ont osé résister au courant des choses humaines. Tel l’empereur Julien, dit l’Apostat, défenseur obstiné et impuissant du paganisme, qu’il exclut de son almanach, tandis que Constantin et Théodose y figurent en bon rang, de même que Joseph de Maistre et le vicomte de Bonald.

C’est que pour avoir accès dans ce paradis des élus, il faut avoir suivi la marche de la civilisation selon la formule de l’auteur du calendrier. Or, Comte réputait intempestive ou mauvaise toute manifestation historique ne tendant pas directement à préparer l’avènement de l’ère positive par l’évolution systématique dont il a fait la loi même de l’histoire. Ses préférences et ses répugnances, ses antipathies et ses sympathies sont conséquemment déterminées par l’intérêt même du système.

C’est à ce point de vue que l’arrangement et l’ordonnance de ce musée des illustres vaudraient la peine d’être étudiés, comme un commentaire suivi du système tout entier. La théorie de l’évolution humaine et du progrès général s’y trouve résumée par des noms classés et combinés avec méthode. Rien n’est plus curieux que la distribution de ces saints d’une religion savante, par jours, semaines et mois. Quelques-uns, particulièrement dans le semestre des modernes, et à partir du christianisme, ont des substituts ou des surnuméraires, des doublures, comme on dit au théâtre. Ni Jésus-Christ, ni Mahomet n’y figurent.

Qui n’a pas étudié l’esprit de cet almanach philosophique ne saurait comprendre à fond le sentiment religieux qui a guidé l’auteur dans la recherche des lois de ce qu’on est convenu d’appeler la philosophie de l’histoire. Une série de biographies faites d’après ce plan pourrait servir utilement à donner de la vie et du relief à l’enseignement historique, généralement trop maigre ou trop abstrait pour être vraiment profitable. En fait, cette hagiographie sommaire ne renferme que des noms de fondateurs. La négation et le doute n’y donnent point entrée. Par une anti-