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SEIGNOBOS.de la connaissance en histoire

Dans toute science où les phénomènes disparus sont présumés identiques aux phénomènes actuels, les savants se bornent à examiner les phénomènes actuels et ne se soucient pas de recueillir les traces des phénomènes anciens exactement semblables. À quoi bon étudier indirectement ce qu’ils peuvent observer directement ? Voilà pourquoi les procédés de la recherche historique sont inutiles à toute science qui cherche seulement les lois générales des phénomènes sans tenir compte des conditions de temps et de lieu, (mécanique, physique, chimie, biologie, psychologie générale[1]). Si l’on y a recours, c’est comme à un moyen pratique d’abréger le travail, jamais pour constituer la science.

Le mode d’acquisition historique devient nécessaire dès qu’on a intérêt à connaître les phénomènes disparus ; et cela arrive pour plusieurs raisons. Ou l’on a besoin de recueillir le plus grand nombre possible de phénomènes semblables, et l’on ne peut pas reproduire à volonté les phénomènes (c’est le cas des sciences d’observation passive l’observateur, réduit aux matériaux que lui fournit le hasard, a intérêt à ne laisser perdre aucune donnée sur une espèce de phénomènes qu’il n’a pas le pouvoir de renouveler). — Ou l’on présume que les phénomènes disparus n’étaient pas identiques à ceux qu’on observe actuellement, et on veut constater dans quelle mesure ils en différaient (c’est le cas des sciences qui étudient des phénomènes soumis à une loi d’évolution). — Ou l’on veut tenir compte des circonstances de temps et de lieu dans lesquelles se produisent les phénomènes et on a besoin de recueillir les phénomènes de tous les temps et de tous les lieux (c’est le cas des sciences descriptives, géologie, botanique, zoologie, qui travaillent à localiser les phénomènes dans le temps ou dans l’espace). — L’astronome qui se fait décrire le passage d’un bolide qu’il n’a pu observer, le naturaliste qui étudie un fossile pour reconstituer une espèce éteinte, le botaniste qui, pour déterminer l’extension d’une flore, réunit des récits d’explorateurs, tous, pour un motif différent, font acte d’historien.

Mais l’usage a restreint le sens du mot histoire. La connaissance des faits physiques et biologiques n’est jamais qualifiée histoire, même lorsqu’elle est acquise par voie historique ; la paléontologie, bien qu’elle opère exclusivement par une méthode historique, n’est pas classée parmi les sciences historiques. On réserve le nom d’his-

  1. Est-il besoin de dire que faire l’histoire d’une science n’est pas traiter cette science par un procédé historique ? L’histoire de la chimie est l’étude des idées qu’ont eues les chimistes d’autrefois, c’est une partie de l’histoire des idées. Traiter la chimie historiquement, ce serait étudier les phénomènes chimiques dans les descriptions faites par des observateurs, comme fait l’élève qui étudie un manuel de chimie.