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GUARDIA.auguste comte

Paul, qu’il considérait comme le vrai fondateur de l’Église catholique. Il l’admirait pour le moins autant qu’Aristote, le maître des philosophes.

Si l’on osait emprunter une figure à l’évolution mythologique et poétique de notre espèce, on pourrait dire que Comte commença par vivre l’âge de fer, et remonta ensuite de l’âge d’argent à l’âge d’or. On sait qu’il avait construit un édifice à triple étage : en bas les prolétaires, au milieu les industriels, en haut les savants, faisant fonctions de prêtres.

Il suffit d’indiquer ici une idée qui pourrait prêter à de longs développements, s’il était question de suivre l’évolution mentale de l’auteur, de ces grandes constructions philosophiques, sociales et religieuses, qui sont toutes caractérisées, malgré les dissemblances du fond, par une commune épithète à laquelle le fondateur tenait beaucoup, comme à un symbole d’unité, bien qu’elle ne fût en réalité, pour rappeler le mot fin d’un métaphysicien de haute volée, que la girouette de l’édifice.

La vérité est que l’auteur de la philosophie positive, se développant selon sa nature, était tombé du positif dans la métaphysique, de la métaphysique dans la théologie, et de celle-ci dans le mysticisme. Le plus positif des philosophes se transforma et devint le plus chimérique des théoriciens. Beaucoup de gens qui ne voient que le relief des choses y ont été pris, et, trompés par l’étiquette, ils ont vu du positif où il n’y a que de l’idéal. Pourquoi cette illusion ? Parce qu’ils n’avaient point la clef du cœur de ce philosophe étrange, sévère, morose, qui ne vécut, croyait-on, que par le cerveau.

C’est là une erreur d’appréciation contre laquelle A. Comte proteste du fond de sa tombe, avec une vigueur, une conviction qui, en maints passages, le rendent éloquent, de cette éloquence naturelle et forte qu’il ne connaissait point à l’âge de quinze ans, quand il remporta le prix de discours français, à la fin de sa rhétorique, au lycée de Montpellier (août 1813). Ce souvenir de sa première jeunesse recommandera peut-être le philosophe à l’indulgence des juges qui font passer le classique avant tout. Peut-être ne seront-ils pas fâchés de savoir que le jeune rhétoricien reçut pour sa peine la traduction d’Homère, de Lebrun ; ce volume figurait dans sa bibliothèque de choix, à côté de la Divine Comédie, de l’Imitation de Jésus-Christ et de la Journée du chrétien.

Ces livres favoris révèlent amplement ses goûts dominants et les tendances de sa nature mystique.

Comte mystique ? Oui, certes, et d’un mysticisme transcendant, raffiné, au degré superlatif. L’athéisme n’exclut point le mysticisme. L’imagination et le sentiment ne sont pas exclus des hautes régions de la pensée. La poésie du cœur n’abdique jamais chez les grandes à mes, et la tendresse peut s’accorder avec les combinaisons les plus abstraites. Qu’on songe à celui qui a dit que le cœur a ses raisons que la raison ne connaît pas. Il est bien peu de profonds mathématiciens qui n’aient pas touché à la métaphysique, et il n’est pas de métaphysicien qui n’ait mordu au fruit mystique. Descartes, Spinoza, Malebranche, Stahl, Leibnitz en sont la preuve pour qui sait les lire. Le génie sublime et positif