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heureux de fou méchant et malveillant ; jugement excessif, qui pèche par la justesse autant que par la charité[1]. C’est l’examen attentif de toutes ces pièces posthumes, depuis le testament jusqu’aux lettres intimes, qui l’oblige aujourd’hui à cette rétractation. On ne peut le lire sans émotion. Aussi peut-on s’étonner que les disciples et exécuteurs testamentaires du philosophe n’aient accordé qu’une publicité restreinte à ce volume de confessions et révélations qui éclaire d’une lumière si vive la grande figure du fondateur de leur école.

Il y a là plus de pâture pour la curiosité, et plus d’instruction solide que dans les monographies diversement estimables d’E. Littré et de M. le Dr Robinet ; l’une pleine de substance et éminemment critique, l’autre dépourvue de critique, mais riche en confidences précieuses pour la future biographie d’un homme qui n’a guère été apprécié jusqu’ici que par le fanatisme de l’admiration et de la haine. Il n’est pas bien sûr que les auteurs de confessions aient tout dit, y compris J.-J Rousseau, qui s’est complu cyniquement à vider le panier aux ordures ; mais il n’est pas douteux qu’en voulant la publicité pour ses papiers intimes, Auguste Comte se soit souvenu d’une de ses plus belles devises : « Vivre au grand jour. » I était de ceux qui peuvent faire leur prière à haute et intelligible voix, aperto vivere voto dit le poète stoïcien.

II

Il ne saurait être ici question de la philosophie positive, ni de la politique positive, ni de la religion de l’humanité, c’est-à-dire des trois grandes étapes qui marquent le parcours de cette haute intelligence. Tout ce qu’il est à propos de noter en passant, c’est qu’au rebours de sa théorie, ou, comme il disait, de la loi des trois états (religieux, métaphysique, positif), Auguste Comte a commencé par la philosophie positive, où la préoccupation du relatif semble exclure l’absolu, continué par la politique positive, qu’on peut considérer comme l’utopie ou le rêve d’un métaphysicien, et fini par la conception théologique de la religion de l’humanité, fruit d’une imagination sacerdotale.

La synthèse subjective est comme le trait d’union entre le positif et l’abstrait. Il reconnaît lui-même que son dessein était de transformer la science en philosophie, et celle-ci en religion, et il déclare nettement que la découverte des lois sociologiques le poussa à reconstruire la spiritualité. Ayant renoncé tout jeune aux croyances surnaturelles, il n’eut que de la vénération pour une théologie longtemps organique, et du mépris pour une métaphysique dissolvante. Ce sont ses propres expressions. De là sa glorification du moyen âge, son admiration pour la catholicité, son respect croissant pour le catholicisme, précurseur immédiat et nécessaire du positivisme. Son saint favori était l’apôtre

  1. V. dans « La médecine à travers les siècles », Philosophie, VII, p. 567, (Paris, 1863).