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bien nouveau, mais il montre bien la valeur de ces conceptions d’Aristote que la science positive elle-même est souvent obligée d’adopter pour expliquer certaines lois. En particulier la distinction de l’acte et de la puissance est une des plus fécondes et des plus lumineuses pour quiconque veut se rendre compte des choses.

M. de Vorges expose très clairement ensuite que l’essence est une idée abstraite qui a besoin d’une cause qui la réalise et la fasse passer à l’être. L’être réalisé est composé d’une matière et d’une forme et c’est cette matière et cette forme réunies par une cause qui constituent la substance. La substance n’est donc pas une qualité simple et isolée comme l’avaient cru les cartésiens, elle est quelque chose que l’abstraction distingue des qualités et elle ne peut se réduire à aucune qualité si durable-soit-elle, parce qu’elle consiste précisément dans la réunion des qualités les unes avec les autres. Cette conception de la substance est autrement profonde que celles qui ont cours généralement.

Nous voudrions cependant exprimer deux regrets. Le premier se rapporte à cette notion même de la substance. Pourquoi M. de Vorges n’est-il pas allé jusqu’au bout de sa pensée et n’a-t-il pas résolument défini la substance : la loi selon laquelle les parties de l’être sont unies ? Il eût alors évité définitivement toutes les objections que l’on peut adresser à la substance quand on se contente de la définir en la plaçant en dehors des qualités qu’elle soutient. Une loi est quelque chose de clair, un concept positif qui remplace avantageusement le concept trop vague et indéterminé de substrat.

Second regret. Pourquoi M. de Vorges, lorsqu’il découvre dans l’analyse de la conscience pensante la sensation, l’activité, le sujet, la substance, la cause, ne dit-il pas qu’il emploie la méthode réflexive préconisée par Descartes ? C’est une justice à rendre à l’auteur du Discours de la Méthode que de reconnaître que par le je pense, il a complété la métaphysique d’Aristote et qu’il l’a mise en état de résister à tous les assauts de la critique. Descartes a été inventeur et glorieusement inventeur en cela qu’il a vu que nous ne pouvions saisir directement l’objet qu’en nous-mêmes et que nous ne pouvions saisir la valeur objective des lois de la pensée qu’en les expérimentant tout d’abord pour ainsi dire à l’œuvre dans la réflexion du sujet. Au moment où M. de Vorges et ses amis s’efforcent, et non sans succès, de faire revivre la philosophie d’Aristote, ils doivent l’élargir assez pour qu’elle embrasse tous les développements légitimes de la pensée moderne. Il n’y a dans le fond du cartésianisme rien qui soit opposé aux principes péripatéticiens ou scolastiques. Les néo-scolastiques s’en apercevront certainement. M. de Vorges le voit sans doute, mais j’aurais voulu qu’il le dit expressément.

Quoi qu’il en soit d’ailleurs, nous ne pouvons que rendre hommage à la clarté de l’exposition, à la simplicité de l’ordonnance, à la rigueur du raisonnement, à la netteté de l’expression, à toutes ces qualités qui constituent la probité de la pensée. Tous ceux qui ont quelque souci de la vérité pourront, grâce à M. de Vorges, apprécier par eux-mêmes la