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l’expliquer, cela va sans dire. Mais a-t-on réussi à expliquer la conscience ? Loin de là, et même les spiritualistes tirent de cette impuissance un argument contre leurs adversaires. Je ne dis pas qu’il y ait lieu de s’en réjouir, pas plus qu’il n’y a lieu d’être satisfait de ne pouvoir expliquer la mémoire. Il y a lieu, croyez-vous, de se résigner à ignorer ; le problème des origines de la mémoire ou de l’habitude n’est guère plus facile à résoudre que celui des origines de l’être. On a bien fait de tenter l’impossible pour saisir la clef de cette irritante énigme : on ferait mieux, maintenant que l’on s’aperçoit avoir tenté l’impossible, de réserver ses forces pour un plus utile emploi. Telle est la morale qui se dégage de la très intéressante et très suggestive étude de M. Bouillier : en se demandant ce que « deviennent les idées, » il amène insensiblement son lecteur à se demander « si elles deviennent » et à ne point reculer devant la négation.

Lionel Dauriac.

Lucien Arréat.Journal d’un philosophe, in-18, 303 p.. Paris, Alcan, 1887.

Qu’un homme d’esprit et qui sait sa langue veuille faire part au public des réflexions diverses qu’il a pu faire durant une année à propos des événements artistiques, littéraires ou même philosophiques, quel autre titre pourra-t-il donner à ces réflexions que celui de journal ? Et comme réfléchir c’est philosopher, ce journal sera celui d’un philosophe. Philosophe point rébarbatif d’ailleurs, et dont la gravité se tempère d’un sourire. Il laisse à la porte les mots pédantesques et sonores et cause avec lui-même comme il causerait dans un salon ; peut-être s’écoute-t-il un peu parler, mais qu’importe s’il parle bien ? Car il écrit avec grand soin, il sait encadrer comme il faut les nouveaux mots dans les formes d’autre fois, il enguirlande ses réflexions de fraîches et poétiques descriptions, il nous raconte même un petit roman et il philosophe pardessus le marché. Comme c’est là ce qui intéresse surtout les lecteurs de cette grave Revue, nous leur indiquerons des dissertations intéressantes sur l’Esprit et le Comique, sur la Moralité de la fable, le Catéchisme et la Morale, de fort justes réflexions sur les beaux-arts semées çà et là. On trouve vraiment à lire ce petit livre plaisir et profit. Si des esprits chagrins lui reprochaient de ne contenir guère de philosophie que sur le titre, on pourrait leur rappeler cette pensée de l’auteur : « La poésie est encore ce qu’on a trouvé de plus pratique, l’essentiel en ce monde n’étant pas d’avoir du pain, mais de se plaire à la vie. » De même l’essentiel n’est pas tant de penser avec force et profondeur, mais de faire que le lecteur se plaise à ce qu’il lit. M. Arréat a fort justement visé à l’agrément du lecteur et nous ne saurons que l’en féliciter. Omne tulit punctum.

G. F.