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ANALYSES.f. bouillier. Psychologie et morale.

doigts ? le son ne se fait pas entendre. Notre attention retenue sur le mot Vallier ne pouvait se porter sur le nom Lallier, en raison de l’identité des lettres composantes : et les caractères servant à écrire le nom de Lallier n’étaient pas à notre disposition immédiate, puisque l’instant d’avant ils servaient à nous retracer le nom de Vallier. Voilà l’explication qui s’improvisa en nous, et qui exige le recours aux fondements corporels de l’activité spirituelle[1]. Nous la donnons pour ce qu’elle vaut et elle ne vaut presque rien. Car, si notre parole intérieure avait immédiatement prononcé le second nom à la suite du premier, la spontanéité de cette succession aurait été attribuée à l’identité des lettres dont les deux noms se composent. Et pourtant une même cause ne saurait être tantôt dirimante, tantôt adjuvante. C’est donc que les véritables causes nous échappent, et qu’à l’heure actuelle, il en est à peu près de ces explications physiologiques comme des arguments théologiques : quidquid dixeris argumentabor. Elles valent en raison non pas de la science, mais de la fécondité d’imagination de ceux qui les trouvent. Veut-on d’ailleurs sur cette importante question l’avis d’un philosophe illustre, très versé dans les sciences biologiques ? Il sera curieux de l’enregistrer : « Nous et toute la psychologie, nous avons agi de bonne foi jusqu’à présent, en admettant des idées inconscientes ou de tels états inconscients que des idées ont laissés derrière elles. Ont-ils été réellement laissés ainsi, et pouvons-nous puiser dans cette expression une conception quelconque, si nous n’avons pas recours, ainsi qu’il est toujours arrivé naturellement et inévitablement, aux très grossières images d’impressions dont la configuration a changé, ou de mouvements qui ne sont imaginables que dans un espace ? Rien ne nous obligeait à de pareilles tentatives, si ce n’est l’observation du retour des précédentes idées dans la conscience ; mais ce qui a été autrefois ne peut-il être le principe déterminant de ce qui sera, que par cela qu’il n’a pas péri et qu’il continue de durer ? Et quand l’âme, dans un sommeil complètement dépourvu de rêves, ne pense, ne sent et ne veut rien, existe-t-elle alors et qu’est-elle ? On a bien souvent répondu que, si jamais cela pouvait arriver, alors elle n’existerait pas : pourquoi n’a-t-on pas osé dire qu’elle n’existe pas toutes les fois que cela arrive ? (Lotze, Mėtaphysique, livre III, ch.  v, §  307.) » Pourquoi donc, au lieu de prétendre que les idées restent dans l’esprit à l’état inconscient ou subconscient, ne se risque-t-on pas à dire qu’elles disparaissent pour réapparaître quand l’occasion favorable s’en présentera ? On énoncerait un fait, sans

  1. En effet tout se passe comme si pour nous rappeler une lettre il fallait provoquer un mouvement dans les parties du cerveau où sont localisées ces lettres. Chaque lettre de l’alphabet aurait sa case et par conséquent ne pourrait être, au même moment, indéfiniment disponible, le nombre des cases devant être limité, comme l’est dans un atelier d’imprimerie, le nombre des caractères identiques. Mais autre chose est une « illustration », autre chose est une explication. Autre chose est une induction, autre un raisonnement par analogie : là c’est l’expérience qui fournit la matière, ici c’est la conjecture. Bref, il y a entre l’une et l’autre toute la distance de la comparaison à la raison.