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ANALYSES.f. bouillier. Psychologie et morale.

stitue, ce nous semble, ce sentiment de déjà éprouvé, antécédent immédiat et nécessaire du jugement de reconnaissance. « L’habitude, écrivait Albert Lemoine, est à l’égard de la production des idées ce qu’elle est à l’égard des mouvements musculaires, par exemple, le jeu des doigts du musicien qui touche un instrument. En effet l’habitude crée en nous une tendance à la répétition, et cette tendance éclot dès le premier accomplissement de l’acte.

On sait, depuis Albert Lemoine que l’habitude naît de l’action et non pas seulement de son renouvellement ; que la répétition, la continuation sont des causes adjuvantes non productrices. On peut, dès lors, à nos yeux tout au moins, répondre à cette objection de Bouillier (p. 217) : « La facilité acquise à faire certains mouvements ne se confond pas avec ces mouvements eux-mêmes : bien que devenus plus faciles pour la répétition, il y a toujours là deux choses bien différentes : la disposition à faire un acte n’est nullement cet acte lui-même. L’habitude ne peut que frayer les voies ; elle est la condition de la reproduction plus facile des idées et des mouvements, mais elle n’est ni une idée, ni un mouvement. Pour que l’habitude agisse sur les idées, pour qu’elle les associe et qu’elle aide à les rappeler, il faut qu’il y ait des idées, qu’elle s’exerce sur ces idées qui viennent d’ailleurs et qui existent antérieurement à elles. L’habitude devenue une idée serait assurément la plus merveilleuse de toutes les métamorphoses. » Certes. Et ce serait une métamorphose non moins merveilleuse que celle de la mémoire devenue une idée. Personne n’a osé soutenir une thèse aussi paradoxale, pour ne rien dire de plus. Personne n’est allé jusqu’à confondre la forme et la matière dans l’activité de l’esprit. Or la mémoire, l’habitude sont des formes les idées, les actes sont les matières qui viennent s’encadrer dans ces formes. Pour nous servir d’expressions peut-être plus aisées à comprendre, nous dirions encore : « les idées et les actes sont des faits, la mémoire et l’habitude sont des lois, et des lois dont la réduction à l’unité s’impose. » Sous ces deux termes il est permis de désigner une seule et même forme psychique dont le nom varie avec la matière, s’appelant habitude quand la matière est du genre mouvement, mémoire quand elle est du genre idée. La confusion contre laquelle s’élève M. Bouillier avec beaucoup de force et beaucoup de raison n’a donc été faite par personne. D’autre part, si l’on n’oublie pas qu’il suffit d’accomplir un acte pour acquérir une tendance à le reproduire, d’avoir une idée pour acquérir une tendance à la voir reparaître, si l’on remarque, en outre, qu’une idée nouvelle, étant toujours accompagnée de conscience, fournit par cela même à la mémoire une occasion facile de s’en emparer, on n’aura point de peine à comprendre l’action de l’habitude sur les idées : elle s’exerce sur des mouvements ou des idées accompagnés de conscience. Ce n’est point dans les profondeurs obscures de l’âme que la mémoire va chercher les idées ou les mouvements elle les surprend à leur origine, leur imprime aussitôt son cachet, et leur enjoint de réapparaître à la première occasion favorable. Et cela se fait