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dont la mémoire est une espèce : l’habitude a pour effet de diminuer le sentiment de l’effort, la mémoire a pour effet de diminuer le coefficient de surprise dont est généralement affecté tout nouvel état de conscience l’habitude rend plus facile l’accomplissement d’un acte précédemment accompli, la mémoire facilite la rentrée dans la conscience d’une idée qui s’y était déjà introduite. S’exprimer ainsi ce n’est point supprimer ce qui reste d’essentiellement mystérieux dans le phénomène de la réapparition des idées ; c’est ramener une fonction à une autre, la faire rentrer dans un genre, c’est assimiler le pourquoi du souvenir au pourquoi de l’habitude. Il se peut que notre erreur soit lourde, mais il nous paraît qu’une telle assimilation n’est pas inutile, et que l’on gagne quelque chose à la reconnaître ; l’économie d’un mystère n’est pas à dédaigner, et il nous semble qu’on la réalise dès lors que l’on rattache l’espèce mémoire du genre habitude.

Étant donnés, d’une part, la conscience et ses états, d’autre part, l’habitude, essayons de faire pénétrer l’habitude dans la conscience. Qu’en résultera-t-il ? Elle en facilitera l’exercice, tout d’abord ; ensuite, à chaque changement d’état, elle fera naître une disposition nouvelle, une tendance à persévérer propre à cet état. L’habitude est génératrice d’habitudes. Demandons-nous maintenant à quel signe nous reconnaissons qu’un acte est habituel : nous le reconnaissons à l’aisance dont son exécution s’accompagne. Le signe qu’un état de conscience n’est pas nouveau, qu’il ressemble à des états anciens, n’est-il pas le jugement de reconnaissance déterminé par son apparition ? — Mais ce jugement n’a-t-il pas pour cause un sentiment ? On a pu remarquer, sauf quand l’état est de nature à déplaire, que le jugement de reconnaissance est accompagné ou plutôt précédé d’un sentiment, d’une émotion : cette émotion peut être faible, rarement elle est nulle. Vous vous promenez dans une ville étrangère, vous voyez passer une figure de connaissance ; aussitôt vous éprouvez un plaisir, et un plaisir totalement inexplicable s’il n’a précisément pour cause l’impression de déjà vu ; et cette impression est nécessairement agréable, en raison de la facilité relative avec laquelle la conscience l’enregistre. D’où résulte cette facilité, sinon d’une disposition acquise, d’une habitude ?

Il est un plaisir sui generis attaché au phénomène de la reconnaissance ; son intensité est souvent assez faible pour nous échapper ; il n’en est pas moins réel. Dans certains cas il est refoulé, presque annulé ; on aurait tort néanmoins d’en inférer son absence. Il y a peut-être lieu d’excepter de la règle les idées obsédantes, d’autant plus désagréables, qu’elles reviennent plus souvent. Mais n’en est-il pas ainsi dans l’ordre de l’habitude ? Les habitudes auxquelles on ne s’habitue pas donnent lieu à des phénomènes du même genre. Il n’en reste pas moins qu’une idée déjà introduite dans la conscience, abstraction faite du sentiment de plaisir ou de déplaisir attaché à son contenu, rencontre moins d’obstacles pour y rentrer que pour y entrer ; et c’est la conscience de cette diminution d’obstacle qui con-