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ANALYSES.f. bouillier. Psychologie et morale.

il ne l’est plus. — Contesterez-vous donc le fait de la reconnaissance ? — Nullement ; toutefois, au delà de ce fait je cherche, et je cherche vainement. De ce que je reconnais une idée, je ne puis rien conclure, ou du moins je ne puis conclure qu’à l’aide d’un raisonnement par analogie. De ce qui se passe dans l’ordre du corps, je conclus à ce qui doit vraisemblablement avoir lieu dans l’ordre de l’âme. Panthéiste ou moniste, je postule cette analogie, sans quoi je ne serais ni panthéiste, ni moniste. Spiritualiste, n’ai je pas l’obligation de la repousser ? L’esprit n’est ni un bocal, ni une boîte de conserves : il n’est même pas un lieu, puisqu’il est, par définition, réfractaire à l’espace. Dès lors, la préposition dans appliquée à l’âme ne peut lui être appliquée que par métaphore et il en est de même du substantif conservation appliqué aux idées.

En se plaçant au point de vue spiritualiste, on semble être réduit à constater le fait de la reconnaissance. Constater ce fait revient à dire que certains états de conscience sont privés du coefficient de surprise, signe infaillible de tout état nouveau. Ils s’accompagnent d’un sentiment de déjà vu, ou plutôt de déjà survenu. De là nous jugeons que l’état présent fait partie d’une espèce ou d’un genre avec lequel notre esprit a déjà lié connaissance : aussitôt, ou peu après, le fantôme de l’état ancien analogue à l’état présent apparaît ; l’esprit porte alors un jugement affirmatif en vertu duquel il l’affirme sien, suivi d’un autre jugement négatif, en vertu duquel il le rejette hors la série de ses états actuels. Voilà les phénomènes de la réapparition d’une idée et de sa reconnaissance, sommairement décrits. Ils n’en sont pas plus expliqués pour cela, je l’accorde, et il serait à souhaiter qu’on en trouvât l’explication. Essayez d’expliquer pourquoi une idée réapparaît, sans recourir à une autre langue qu’à celle dont la psychologie devrait faire exclusivement usage, ou bien vous serez tenté de dire : « cette idée, je l’ai déjà eue parce que je la reconnais, » explication puérile, car vous aurez étourdiment pris l’effet pour la cause…., ou bien vous recourrez à la loi de l’habitude.

C’est précisément ce dont M. Bouillier ne veut pas. Il s’obstine à repousser tout mode d’explication de ce genre ; et il faut avouer que les motifs de son obstination nous échappent.

Est-il vrai qu’une idée a d’autant plus de chances de réapparaître : 1o que dans l’intervalle de son apparition et de sa première réapparition future elle est plus souvent réapparue ? 2o que la durée de chaque réapparition a été plus longue ? 3o qu’entre chaque réapparition il s’est écoulé un temps plus court ? Tout cela est admis par les psychologues. Or ces lois de la mémoire sont en même temps les lois de l’habitude. Dans ces conditions, on peut se demander si deux faits soumis aux mêmes lois ne doivent pas être rattachés au même principe. La plupart des psychologues sont de cet avis : il leur arrive même d’aller jusqu’à faire coïncider dans toute leur extension les termes d’habitude et de mémoire. C’est un tort, car l’habitude est le genre