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ANALYSES.f. bouillier. Psychologie et morale.

encore moins les histoires de cadavre, car c’est d’une histoire de cadavre qu’il s’agit. « L’âme immortelle » n’était qu’un euphémisme. Stavros venait à la rencontre de son ami, en chair et en os… mais déjà en pleine décomposition : « Il se fit avec un ongle de sa main droite une égratignure au poignet gauche. Il n’en sortit pas du sang. Et il vit que sa chair était remplie de petits animaux qui s’en repaissaient (p. 30). » On voudrait pouvoir sauter ces pages : malheureusement elles contiennent toute une description des éléments de la matière, des atomes ; le problème de la vie s’y trouve posé. Pour comprendre la doctrine de M. Burnouf, il faut supporter pendant soixante pages la compagnie d’un défunt qui parle, qui marche et qui pourtant n’est pas ressuscité des morts. Il est, ou peu s’en faut, dans la même situation que je ne sais plus quel héros des Contes extraordinaires dont le souvenir seul fait frissonner les personnes nerveuses. Que le lecteur ait pourtant le courage de traverser cette introduction étrange et quelque peu nauséabonde il ne s’en repentira pas. Car le livre de M. Burnouf est de ceux où l’on apprend beaucoup de choses, de celles que tant de gens instruits ignorent, et que personne ne devrait plus ignorer.

Lionel Dauriac.

Francisque Bouillier. — Nouvelles études familières de psychologie et de morale. Un vol.  in-12, 341 p.. Paris, Hachette. 1887.

Notre dessein n’est pas d’analyser chapitre par chapitre un livre digne d’intéresser tout le monde, philosophes, amateurs de curiosités psychologiques. Nous ne dirons donc rien des opinions de M. Bouillier sur les hommes et les choses du temps présent : on sait assez que depuis bientôt dix ans il ne laisse guère échapper l’occasion de se plaindre et de faire entendre à ses contemporains de dures vérités. Son pessimisme (je prends le mot dans l’acception « familière » ) s’étend à tout et à tous, et pour être toujours sincère il n’en est pas moins très souvent excessif. On doit craindre que cette partialité de conservateur envieilli ne nuise à l’indépendance de l’observateur et du moraliste, indépendance nécessaire, condition expresse de toute analyse exacte. Les opinions politiques de M. Bouillier empercheront vraisemblablement ces « études » d’avoir le succès qu’à bien des égards elles méritent. Les boutades, pour y être fréquentes, n’y sont néanmoins qu’intermittentes, et les intermèdes en sont remplis par d’excellentes pages, d’une lecture facile et profitable tout ensemble. Ajoutons qu’il est trois chapitres où la psychologie « éternelle » est seule en cause, et qui pourraient avoir été écrits avant 1870 : l’un traite des relations entre l’amour de soi et l’amour des autres ; l’autre, de la mémoire et de l’oubli ; le troisième, du devenir des idées. Nos lecteurs le connaissent ; il a le mérite de ramener l’attention sur un des problèmes les plus obscurs de la métaphysique. Que deviennent les idées, quand