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à expliquer le supérieur par l’inférieur, ce qui est, s’il faut en croire Auguste Comte, le propre du matérialiste. De même il serait athée, si si l’on prenait une bonne fois la résolution de fixer le sens des termes et de réserver le nom de Dieu au créateur de l’univers, personnellement distinct de l’univers créé. M. Burnouf, dont le souci paraît être de ne laisser, dans son livre, aucun des grands problèmes sans réponse, a cru devoir toucher à ceux de la métaphysique religieuse. Dieu paraît vers la conclusion ; mais derrière le nom qu’il porte, on a peine à le découvrir. On sait mieux « ce que Dieu n’est pas » que ce qu’il est. Dieu, j’entends le Dieu de M. Émile Burnouf, « n’est pas dans l’espace » ; il n’est pas dans le temps ; il n’est pas dans le mouvement. Il n’a pas de limites, il ne se dénombre pas. Il n’entre dans aucune relation hors de lui-même. Il n’est pas matériel… ; il n’est pas vivant, n’étant ni organique, ni organisé. Il ne pense pas. Il n’est ni créé, ni créateur, parce que le néant n’est rien, et n’est représenté par aucune idée. Il n’est pas l’auteur des lois du monde. Son essence est négative et contradictoire. Son existence ne peut être démontrée (p. 394-395). Qu’est-ce donc que Dieu ? Par condescendance pour la faiblesse humaine, pour complaire à nos spiritualistes et pour ne pas décourager les croyants, je conserverai le nom de Dieu et je dirai : « La nature est l’ensemble des faits perceptibles aux sens ou à la conscience ; Dieu est tout ce que la raison découvre d’absolu par l’analyse. La nature est le mode ou phénomène ; Dieu est la substance et la loi… Il n’y a ici rien de mystique : car cette divinité n’est pas un individu séparé de nous. Elle n’est ni le père, ni la mère, ni l’aïeul du monde. Elle est ce qu’il y a dans le monde d’identique et d’absolu ; elle réside en nous comme en toutes les autres substances. Elle est la loi invariable et le fond permanent de l’univers. C’est pourquoi il faut dire avec l’auteur indien : Dieu est l’absolu neutre et suprême. De lui dérivent tous les vivants. Vers lui tendent toutes les pensées. Les vivants se produisent dans son sein par la transmission des germes et la génération. Les pensées vont à lui par la transmission des découvertes et le travail de la raison, La volonté y va par la vertu. Il faut chercher Dieu, non pour le supplier, le craindre ou le séduire, mais pour se connaître soi-même, concevoir dans sa clarté et distinction la loi universelle du monde et y conformer sa vie (p. 400-402). » C’est par ces lignes dont l’inspiration stoïcienne ne saurait échapper à personne, que le livre se termine. Cette fin du livre est puisée à des sources en partie grecques ; en revanche, il faut avoir longtemps vécu au sein du brahmanisme et du bouddhisme, pour se faire pardonner cette « Vision de la vie et de la mort » qui sert d’Introduction à l’ouvrage. C’est un essai de fantaisie lugubre comme s’en permettait Edgard Poë : M. Burnouf rencontre dans le jardin du Luxembourg « l’âme immortelle de son camarade Stavros » mort depuis six jours, enterré au cimetière Montparnasse. Le lecteur se sent déjà mal à l’aise ; on a beau ne point croire aux revénants, ce n’est pas une raison pour aimer les histoires de fantômes,