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ANALYSES.e. roberty. Ancienne et nouvelle philosophie.

des premiers résultats du savoir positif. Mais « réhabiliter un mode de penser condamné sans appel, et essayer de retrouver dans la masse d’erreurs des parcelles de vérité qui pussent servir dans l’avenir sont choses fort différentes » (p. 183).

II. — M. de Roberty peut être considéré comme un positiviste, en ce sens au moins que le positivisme représente pour lui, plus que tout autre système, la vérité philosophique et surtout la bonne tendance philosophique. Mais il n’est pas orthodoxe et se sépare en plusieurs points de Comte et de ses disciples. Dans un chapitre fort intéressant intitulé la Loi de corrélation entre les sciences et la philosophie et la Loi des trois états, il examine une question importante et la résout autrement que les positivistes ne le font en général. « L’opinion, dit-il, qui voit dans les idées générales la cause efficiente de l’état du savoir positif, est incontestablement celle qui se rapproche le plus du sens littéral de la formule de Comte. Il est difficile, en effet, d’expliquer autrement les trois phases par lesquelles passent les conceptions scientifiques, et par conséquent les sciences, et sur lesquelles Comte insiste tant dans son Cours de philosophie positive. » Cette opinion, d’après l’auteur, n’est pas soutenable ; il pense que « le caractère propre d’une conception du monde influe plus ou moins sur le caractère des conceptions qui règnent dans les sciences spéciales » ; mais « la philosophie ne donne à la science que ce qu’elle en a pris, et son influence est, si l’on peut s’exprimer ainsi, une influence réflexe. Le développement de la philosophie n’est pas la vraie cause qui produit les modifications réelles dans la situation des conceptions scientifiques, car il faut expliquer encore l’état de la pensée philosophique elle-même et montrer pourquoi elle est d’abord théologique et devient ensuite métaphysique et positive, et il peut se faire que cette explication se trouve justement dans la lente progression de la science. Il est vrai que ni Comte ni ses meilleurs disciples ne se sont arrêtés à cette hypothèse ; ils allaient plus loin et cherchaient une cause plus profonde et purement psychologique, mais nos connaissances actuelles, nous le verrons plus loin, n’autorisent en aucune façon une pareille recherche. » (P. 200.) M. de Roberty conclut qu’il faut introduire certaines corrections dans la terminologie de la loi des trois états. « Les caractères exprimés par les mots théologie et métaphysique doivent être rapportes exclusivement aux systèmes philosophiques, non aux degrés inférieurs du savoir positif dans lequel ces systèmes prennent leur source. » (P. 204.) Les données positives, ajoute l’auteur, quelque insuffisantes et rudimentaires qu’elles soient, ne sauraient être à la fois scientifiques et théologiques ou métaphysiques. Si l’on objecte que, pendant la domination de la théologie et de la métaphysique, les branches spéciales du savoir étaient pleines d’explications empruntées à ces conceptions du monde, l’auteur répond que, dans les premières périodes de son développement, la science pouvait sans doute souffrir du caractère fragmentaire et approximatif de ses explications ; elle pouvait n’avoir, et cela lui arrivait souvent, aucune explication à donner pour