Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 24.djvu/652

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
648
revue philosophique

de l’homme ; que tout se réduit non à la matière, mais à la sensation. » (P. 78.) Ce fut là le début de l’ancien sensualisme.

La classification de M. de Roberty est certainement fort ingénieuse ; peut-être n’est-elle pas complètement satisfaisante. L’auteur ne prétend peu d’ailleurs que les doctrines rentrent sans déborder dans les trois compartiments qu’il leur assigne. « Aucune, dit-il, de mes trois subdivisions, matérialisme, idéalisme, sensualisme, ne s’est jamais incarnée dans une doctrine déterminée, avec cette simplicité, avec ces traits caractéristiques que j’ai dû leur donner, pour me conformer aux exigences de la méthode scientifique ; en réalité, les formes intermédiaires ont été excessivement nombreuses, les demi-teintes variées, et les compromis fréquents. » (P. 149 150.) Ces compromis, ces systèmes mixtes se multiplient de nos jours ; des traces de sensualisme, de matérialisme, d’idéalisme se rencontrent presque partout. « Il résulte de là qu’il est présentement très difficile de délimiter nettement les trois directions fondamentales de la pensée métaphysique ; elles s’entre-croisent au point qu’il devient presque impossible de retracer le signe qui les caractérisait si bien jadis : la nature inorganique, organique ou hyper-organique de leur hypothèse première. » (P. 160.)

Au reste, tous ces systèmes métaphysiques ont des côtés communs. On rencontre en toute métaphysique l’ignorance complète de la marche naturelle des choses, l’extrême insuffisance des hypothèses premières, le perpétuel retour aux mêmes erreurs, les appréciations subjectives appliquées aux réalités les plus générales, enfin une longue suite de fautes méthodologiques. L’ignorance des faits et de leurs rapports, conséquence inévitable de l’absence d’observations scientifiques dans de vastes domaines de la nature, a toujours été le caractère distinctif de toute métaphysique. » (P. 166.) Ce sont là les caractères négatifs. La méthode de la métaphysique a toujours été la même. « Si, comme nous l’avons vu, la métaphysique pouvait et devait être subdivisée en trois branches, suivant ces trois hypothèses fondamentales, cette subdivision, ni aucune autre d’ailleurs, n’est applicable aux procédés méthodologiques des anciens penseurs. En distinguant soigneusement les travaux scientifiques des philosophes de leurs écrits philosophiques, on reconnaît aisément que toutes les écoles ont eu recours à la même méthode, qu’elles marchaient toutes dans une fausse voie, aboutissant aux mêmes illusions subjectives. » (P. 179.) Cette méthode est la méthode a priori, qui « a toujours constitué l’élément le plus stable de la métaphysique, le seul peut-être qui ait été pour elle une garantie sérieuse contre les envahissements des conceptions scientifiques. Une pareille persistance a eu pour conséquence naturelle le rapport direct entre la puissance intellectuelle des penseurs et la profondeur des erreurs dans lesquelles ils tombaient. (P. 180.) Tout cela n’empêche pas que les systèmes métaphysiques n’aient présenté quelques parcelles de vérité que recueillera la philosophie scientifique. Ils furent, d’après M. de Roberty, l’écho fidèle, non seulement de l’ignorance générale, mais aussi