Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 24.djvu/647

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
643
REVUE GÉNÉRALE.psychologie criminelle

individu porteur du type criminel dût commettre des crimes, il faudrait, avant tout prélude criminel, reléguer les malheureux ainsi conformés, comme Lycurgue prescrivait l’immolation des enfants ma ! faits. Mais cela n’est pas, et, en somme, le seul symptôme assuré de délictuosité naturelle, c’est l’accomplissement d’un acte délictueux. Ce que la nouvelle école demande, et avec raison, c’est que, en appréciant les circonstances de cet acte, on se préoccupe d’y rechercher l’indication du plus ou moins de délictuosité intime et profonde (c’est-à-dire de rébellion innée contre le droit) qu’il révèle, et non d’y rechercher précisément la liberté dont l’auteur aurait joui au moment du crime.

Sur quelques points, Aramburu donne les mains aux vœux de l’école italienne : il est d’avis, comme Garofalo, que la fixation à priori de la durée de la peine présente des inconvénients et réclame même pour l’école spiritualiste la priorité de l’idée. Mais, en procédure criminelle, il repousse comme entachées d’un esprit réactionnaire les réformes proposées, surtout celle qui a trait à la suppression du jury. Ce n’est pas d’ailleurs qu’il s’inscrive en faux contre les reproches faits aux jurés ignorance (dont il cite de jolis traits, p. 288), partialité, lâcheté, corruption. Mais : 1o le jury est conforme, dit-il, au principe démocratique, le pouvoir judiciaire fait partie de la souveraineté du peuple. Je réponds que notre démocratie tend à devenir une aristocratie scientifique. Substituer de plus en plus aux jurés et même aux magistrats des experts, voilà le but inconsciemment poursuivi de toutes parts, en dépit des apparences. M. Aramburu nous assure pourtant : 2o que le jury, malgré l’opposition de nombreux et savants auteurs, s’étend partout à la surface du globe. Je réponds que c’est là un bel exemple de propagation imitative, rien de plus. 3o Si le jury, dit-on encore, est ignorant, peu importe, il n’a à juger que des faits ; le juge est plus instruit, mais l’habitude de juger lui donne des préventions. Je réponds que cela revient à dire : à son ignorance reconnue le juré ajoute une inexpérience profonde, et il est moins incapable parce qu’il est tout à fait inexpérimenté. 4o Le jury n’est pas plus immoral que le reste des citoyens. Je réponds : C’est vrai, mais je me demande si l’aréopage eût été satisfait d’un pareil compliment. Il y a pourtant, je l’avoue, à mon point de vue, une justification possible du jury : s’il est vrai que le criminel ne soit pas un homme d’une autre espèce, si, quoique nous ne soyons pas tous, comme on l’a dit à tort, « des criminels possibles », car nous ne sommes pas tous atteints d’anémie cérébrale et d’épilepsie larvée, les influences sociales prédominent dans la production du délit, l’indulgence des jurés s’explique dans une certaine mesure, comme un vague sentiment de cette vérité et de cette sorte d’universelle complicité morale qu’elle implique à la charge des plus honnêtes gens quand un crime éclot au milieu de nos sociétés.

Le dernier volume paru de la Statistique criminelle en France contient une intéressante comparaison entre les dix années 1876-1885. Il