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Il y aurait beaucoup à dire sur les conférences relatives à la peine et au jugement. M. de Aramburu nous y paraît gêné par sa croyance au libre arbitre. Il répond mal à cette objection de Garofalo : On loue et récompense le soldat valeureux, bien qu’il soit né de parents vaillants qui lui ont rendu le courage facile, et on traîne au conseil de guerre le soldat qui a fui, quoiqu’il lui eût été impossible de surmonter sa frayeur. Il répond mal encore à cette autre : Ce sont précisément les plus grands criminels que vous devriez absoudre comme étant les plus entraînés, les plus poussés au crime, et, par suite, les moins responsables moralement. — Il a raison cependant de dire que, pour que la peine améliore le coupable et révèle ainsi la meilleure part de son efficacité, il faut que le condamné la reconnaisse juste. C’est vrai, mais cela signifie simplement, au fond, qu’un même fonds de croyances, qu’une même atmosphère intellectuelle, — religieuse hier, scientifique peut-être demain, — doit pénétrer l’esprit du condamné, l’esprit de ses juges et l’esprit de leurs concitoyens. Supposez une société nourrie tout entière des théories déterministes et utilitaires de la nouvelle école, les cas où la condamnation serait regardée comme juste par le juge et approuvée par le public, en tant que conforme aux principes régnants, seraient aussi ceux où le coupable lui-même donnerait son adhésion intime et irrésistible à l’arrêt prononcé, si terrible qu’il pût être. Reste à savoir si tous les principes de la nouvelle école, et non pas seulement sa foi déterministe et utilitaire, sont susceptibles de vulgarisation universelle, c’est-à-dire sont conciliables avec le maintien d’une grande société. Or, je crois que par sa méconnaissance ou sa reconnaissance insuffisante de l’élément juridique essentiel à toute solide théorie pénale, elle se met en opposition partielle avec les conditions fondamentales de l’ordre social. On a vu de grandes nations remplies de la foi fataliste, une partie de l’Église chrétienne a vécu des idées déterministes de S. Augustin et de Jansénius sur la grâce ; aucun peuple ne s’est encore passé de l’idée du Droit et n’a pu se contenter de celle de service, aucun peuple n’a pu se borner à voir dans une injustice un préjudice, dans un crime un malheur. Le malfaiteur, toujours et partout, est quelque chose de plus qu’un être dangereux pour les intérêts ; c’est un violateur de droits, et cette violation suppose un acte de volonté réfléchie, ce qu’une lésion d’intérêts ne suppose pas nécessairement. S’il en est ainsi, on comprend que le délit appelle un châtiment autre que la réparation de son dommage et l’obstacle opposé à sa répétition ultérieure. Ce châtiment, c’est la réattestation publique, solennelle, du droit publiquement, outrageusement violé par lui ; librement ou non d’ailleurs, peu importe. — Sous le bénéfice de ces réserves, j’ai à défendre l’école positiviste contre maint argument de M. de Aramburu, contre celui-ci notamment : si c’est la prévision du mal futur et non pas le souvenir du mal passé qui motive la peine, pourquoi ne pas punir celui qui n’a encore commis aucun fait délictueux, mais qui porte le signalement du délinquant-né ? La question est ironique. S’il était sûr que tout