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REVUE GÉNÉRALE.psychologie criminelle

« pour le délit qui lèse le sentiment de justice, rigueur excessive ; pour celui qui lèse le sentiment de pitié, à peine s’il y a répression ». Ici et plus loin, toutes les fois qu’il s’agit du rôle social de l’idée du droit, méconnue trop souvent par les sociologues, M. de Aramburu est très énergique et très heureux. Si on lui oppose certaines formes barbares de pénalité, la composition pécuniaire par exemple, comme preuve que l’idée du juste a commencé par être étrangère à l’idée de la peine aussi bien qu’à l’idée du délit, il répond : la justice a été devant les yeux des criminalistes primitifs comme un modèle à retracer ; les traits grossiers qu’ils lui ont prêtés ne prouvent pas qu’ils ne l’aient pas envisagée ; autant vaudrait dire, d’après les dessins informes des artistes leurs contemporains, que ceux-ci n’ont jamais vu les objets naturels si mal dessinés par eux. Le Wehrgeld nous indigne, mais il n’a pas moins indigné nos aïeux : témoin ce guerrier danois qui, n’ayant jamais pu s’habituer à cette coutume, nouvelle pour lui, s’écriait dans son indignation conservée par un chant populaire : « Qui jadis eût osé recevoir de l’argent pour prix d’un père assassiné ? »

Bien entendu, dans sa leçon sur le délinquant, notre conférencier critique Lombroso. Il m’emprunte assez souvent des armes contre lui, et même, soit dit en passant, je lui sais gré d’avoir étayé mon hypothèse des types professionnels en la plaçant sous le patronage de Darwin, suivant lequel (Descendance de l’homme, t.  I) il suffit de l’attitude imposée par un métier pour modifier considérablement la conformation cérébrale et cranienne ; à tel point que la profession de cordonnier, en forçant à courber la tête, tendrait à développer la partie frontale. Je ne reproduirai pas les nombreuses attaques dirigées contre le type criminel ; beaucoup de flèches portent. Mais, malgré tout, la critique finit par une concession qui a son importance. Il est forcé de reconnaître (p. 152), devant cet étalage prestigieux de chiffres et d’expériences, que « le nombre des malades est plus grand qu’on ne l’avait pensé jusqu’ici, et celui des vrais criminels moindre, » qu’ainsi « le champ de la tératologie s’étend pendant que celui de l’antique droit pénal se rétrécit ». C’est beaucoup, un tel aveu ! Notre spiritualiste, il est vrai, est loin de croire à la folie morale, à l’épilepsie larvée et autres concepts élastiques, grâce auxquels les aliénistes, suivant lui, sont en train de transformer le monde en un vaste hôpital de fous. « Chaque jour, dit-il, se vérifie davantage l’opinion de Regnault, de Coste, de Troplong et autres, aux yeux desquels il suffit d’avoir une bonne judiciaire pour distinguer un fou d’un homme raisonnable. » J’observe que, dans son intéressant Manuel des expertises médicales, p. 243, M. le Dr Henri Contague est loin d’être de cet avis : « Les doctrines d’Elias Regnault et de Troplong sur la compétence des médecins en matière d’appréciation de la responsabilité ont à peu près passé du domaine de la pratique dans celui de l’histoire. Je recommande, en passant, l’instructif et utile petit ouvrage d’où ces lignes sont extraites. Tout ce qui a trait à l’état mental, notamment, y est fort bien traité.