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REVUE GÉNÉRALE.psychologie criminelle

tion et de clémence à l’égard de nos frères dégradés, sans toutefois perdre de vue les intérêts sociaux, nous serons en droit de dire que nous n’avons pas tout rejeté dans l’héritage de nos pères, dans les enseignements du condamné à mort dressé sur leurs autels. Or, je sais bien que, pour le moment, le vent des théories est à une sévérité sans merci ; mais ce vent peut changer, et, en attendant, notre pratique pénale s’humanise de plus en plus.

Par qui, plus que par les théologiens et les casuistes chrétiens, ont été agitées ces graves questions sur le libre arbitre et le déterminisme (lisez la prédestination), que nous rééditons à présent sous de nouvelles étiquettes, comme, sous le nom d’hypnotisées, nous remettons en lumière les sorcières d’autrefois ? Cependant le christianisme a plutôt posé ces problèmes qu’il ne les a résolus. Les longs conflits sur la grâce ont pris fin par lassitude. C’est la science qui, en faveur de la thèse déterministe, a tranché l’antique débat. Cette solution, qui s’impose, est-elle inacceptable pour un chrétien qui s’en tient à l’essence de sa religion ? Nullement. Ce n’est pas à ce que nos actes ont de soi-disant libre, mais à ce qu’ils ont de vraiment intérieur, volontaire et personnel, qu’il faut attacher désormais notre responsabilité. M. de Aramburu, par malheur, est un partisan déclaré du libre arbitre et il adhère à l’idée vulgaire sur l’impossibilité de construire la morale sans ce fondement. De là, quand il est aux prises avec M. Garofalo, — son adversaire de prédilection, — sur ce chapitre, la réelle faiblesse de son argumentation, ailleurs si pénétrante.

Cela dit, jetons un rapide coup d’œil sur les conférences dont son livre se compose. Dans la première, consacrée à la genèse de l’école positiviste, se révèle sans étalage une érudition puisée aux meilleures sources. Après avoir signalé l’inanité, le caractère empirique, ou pour mieux dire l’absence complète de principes de pénalité chez les anciens, notre auteur revendique pour les Pères de l’Église, pour le droit canon, l’honneur d’avoir édifié le Droit pénal, d’avoir « poussé les premiers cris d’humanité en faveur des prisonniers », substitué la prison perpétuelle à la peine de mort dans beaucoup de cas, adouci les châtiments corporels. Dans les prisons bénédictines, paraît-il, la réclusion se combinait avec le travail et la promenade à l’air libre longtemps avant nos réformes laïques en ce sens ; Howard admirait à Rome l’hôpital Saint-Michel. En Italie, la science du Droit pénal a fleuri d’ancienne date, mais toujours jusqu’ici, sous l’inspiration du principe spiritualiste et chrétien. Il n’est pas, du reste, de progrès en droit pénal qui n’aient eu ce principe pour père ; or, il est battu en brèche par nos nouveaux criminalistes. La conclusion est donc que ceux-ci sont en train d’opérer une vraie rétrogradation. — Sans accepter ce jugement, je ne puis toutefois ne pas noter à ce propos un contraste qui me frappe : c’est l’école idéaliste et dogmatique, l’école des principes absolus, qui se distingue ici par le goût des recherches historiques, par l’importance attachée à la filiation des idées dans le passé, pen-