Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 24.djvu/638

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
634
revue philosophique

lité, mais dont les causes assurément peuvent être sociales aussi bien que congénitales. Heureux les faibles d’esprit ! disait Jésus. Sans aller jusque-là, nous pouvons bien dire que, si un corps étique a quelque droit à notre compassion, il ne convient pas non plus d’être impitoyables pour les cerveaux mal nourris. Il vaut mieux commencer par les alimenter plus abondamment, pour voir si leur anémie est incurable.

Je ne puis abandonner le livre de M. Masso sans rapprocher les conclusions finales des dernières modifications apportées par Lombroso à l’édition la plus récente de l’Uomo delinquente, sur laquelle a été rédigée la traduction française. Rien de plus substantiel que le chapitre nouveau où le célèbre criminologiste expose que la folie morale et la criminalité innée se rattachent à l’épilepsie comme à leur source commune et ne sont en quelque sorte que « des états épileptoïdes ». L’avantage de cette forme définitive sous laquelle le maître présente sa doctrine, ce n’est pas seulement de donner au type criminel une précision qui lui manquait absolument, mais encore de la préciser dans un sens physiologique plutôt qu’anatomique. L’épilepsie est « une décharge des centres corticaux » ; décharge intermittente qui révèle l’absence d’un suffisant écoulement continu de force nerveuse. Cela ne tient-il pas à une nutrition insuffisante de la substance cérébrale ? S’il en était ainsi, la théorie de Marro compléterait lumineusement celle de Lombroso. De l’une et de l’autre, au résumé, il résulte que, dans la fatalité qui pousse un homme au crime, il entre une prédisposition organique, une anomalie du système nerveux ; mais, d’une part, cette anomalie est en grande partie la résultante de causes sociales qui ont agi sur les ascendants ; d’autre part, elle ne produit ses effets criminels chez l’individu et ne passe « de la puissance à l’acte » que par sa rencontre avec de malheureuses circonstances sociales.

II. — Comme ton, comme méthode, comme résultats, il y a loin du beau livre de Marro à la Dinamica del delitto de Battaglia. Ce dernier ouvrage pourtant, malgré bien des hors-d’œuvre et des lieux communs socialistes ou matérialistes habillés en paradoxes, mérite examen et discussion en raison de la masse d’idées qu’il remue ; et l’on doit rendre d’abord à l’auteur cette justice qu’il a toujours le courage de ses opinions. Sa sincérité se plaît aux abus de logique, non d’ailleurs sans quelques contradictions. Si habituelle que soit cette combinaison du socialisme et du matérialisme dont il nous offre un spécimen des plus purs, elle n’en est pas moins contradictoire en soi. Un révolutionnaire est toujours un idéaliste sans le savoir. Quiconque prêche une réforme de la société oppose au fait le droit. Rêver de la sorte, c’est croire au bien ; s’indigner de la sorte, c’est croire au mal, c’est voir des injustices et non pas seulement des infortunes dans les inégalités dont on se plaint. Et venir dire, après cela, que l’idée du droit est une chimère, que la morale est une « simple fonction du plaisir et de la douleur », que « l’homme le mieux nourri est le plus moral », que, par suite, si,