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REVUE GÉNÉRALE.psychologie criminelle

bien que les délinquants, comme l’a fait M. Marro, en trois classes, les passionnés, les modérés et les indifférents en politique, on constate que la proportion des deux premières classes est très forte chez les normaux, très faible chez les délinquants, et que la proportion est inverse pour la troisième. C’est par égoïsme sans nul doute que les malfaiteurs se désintéressent de la chose publique ; et ce trait moral s’accorde bien avec leur insociabilité. En revanche, il est à noter que les femmes criminelles se passionnent pour les questions politiques, pour la lecture des journaux, bien plus souvent que les femmes normales. — À ce propos, je ne peux que louer la partie du livre de M. Marro consacrée aux femmes délinquantes. Elle contient des recherches neuves et qui donnent à penser. En définitive, si les criminelles présentent un peu plus d’anomalies morbides que les normales, la supériorité des premières sur les secondes à cet égard est bien moindre que celle des criminels comparés aux normaux sous le même rapport, « ce qui, dit l’’auteur, tend à prouver que, dans la délictuosité féminine, les conditions sociales ont une influence prépondérante,. notamment celles qui poussent d’abord la femme à la prostitution et ensuite au délit[1] ». Du reste, même en ce qui concerne les criminels de notre sexe, M. Marro finit par convenir que l’influence des conditions sociales est grande, assez grande pour permettre de chercher dans des modifications législatives le remède partiel à la criminalité. Et si ailleurs il considère les causes sociales comme seulement occasionnelles, ce qui est très juste, que signifie occasionnelles en ce sens si ce n’est déterminantes ?

Quant aux causes organiques, enfin, sait-on comment le savant auteur les résume lui-même, quel est, suivant lui, l’extractum carnis de tant d’investigations méthodiques, fortes, sincères, dont je viens de donner un simple aperçu ? Ces causes, il nous les montre à la fin, se ramenant à une seule : le défaut de nutrition suffisante du système nerveux central. Voilà donc l’essence et la quintessence du type criminel ! Il n’est plus ou presque plus question des conformations anatomiques, reléguées au second plan ; c’est dans l’intimité de la substance cérébrale que gît le caractère distinctif du criminel-né. Encore n’est-il plus permis de prêter à ce trait une précision saisissante, parlante aux yeux, comme l’a essayé Benedickt par sa prétendue découverte d’une division quatri-partite du lobe frontal qui serait spéciale aux malfaiteurs et les rapprocherait du type carnassier. Giacomini a fait évanouir cette apparence et écarter ce rapprochement. Non, il ne s’agit plus que d’un trait vague, invisible, impalpable, dont je suis loin cependant de contester la réa-

  1. La proportion des prostituées parmi les criminelles est très élevée. « Sur 35 délits, autres que les délits dérivant de la prostitution elle-même (tels que détournement de mineurs, outrages publics à la pudeur, etc.), 23 avaient été commis par des prostituées. » J’avais donc bien raison de dire à Lombroso qu’ajouter au nombre des criminelles celui des prostituées, pour avoir le chiffre vrai de la délictuosité féminine, c’était faire double emploi.