Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 24.djvu/636

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
632
revue philosophique

lection pour les causes physiologiques ou plutôt pathologiques ne l’empêche nullement d’étudier avec patience et profondeur l’action des influences jugées par lui subordonnées ou accessoires. Il montre que les trois quarts (79 sur 100) des délinquants sont dans l’indigence absolue, « proportion trop forte pour qu’on puisse contester l’influence de cette condition sociale sur la délictuosité ». Mais il ajoute que très rarement les malfaiteurs lui ont dit avoir été poussés au crime par la faim. Il constate aussi que, au moment de leur délit, la moitié des délinquants étaient oisifs. Il croit à l’efficacité de l’instruction, mais sa réponse à Spencer sur ce point me parait insuffisante ; et du tableau de la page 273 à cet égard, si tant est qu’on puisse rien déduire de chiffres si faibles, trop petits pour permettre l’élimination complète des causes fortuites, je vois seulement résulter la confirmation d’une idée que j’ai émise ici même, il y a quelques années, sur la vertu de l’instruction secondaire, mais non primaire. En effet, la proportion des délinquants pourvus de l’instruction primaire s’élève à 74 p. 100, tandis que chez les normaux elle n’est que de 67 p. 100 ; et la proportion des délinquants pourvus de l’instruction secondaire (même si l’on comprend dans celle-ci, comme le fait à tort M. Marro, l’enseignement technique, qui, à vrai dire, est un simple prolongement de l’école primaire) n’est que de 13 pour 100, tandis que chez les normaux elle atteint 27 pour 100. Pour contredire cette heureuse influence de l’instruction élevée, niée à tort, selon nous, par M. d’Haussonville dans un très intéressant article de la Revue des Deux Mondes, on pourra faire observer que, dans le détail, sur 100 escrocs, il y en a 45 sortis des écoles secondaires ou supérieures. Mais cela prouve simplement que, parmi les privilégiés de la culture mentale, ceux qui ont été réfractaires à l’amélioration ont donné cours à leur criminalité persistante par la voie presque unique de l’escroquerie, laquelle devient ainsi la forme caractéristique, assurément préférable, de la délictuosité propre aux personnes instruites. La proportion des illettrés parmi les assassins est très forte : un seul avait fait ses classes.

Il est fâcheux que le tableau de la page 277, relatif aux habitudes religieuses, pèche, comme le précédent, par la faiblesse des chiffres. Quoi qu’il en soit, il en résulte que, parmi les délinquants, 45 p. 100 vont régulièrement à la messe, et, parmi les normaux, 57 p. 100. En outre, chez les assassins, la proportion est plus forte que chez les voleurs et les récidivistes. Ceux-ci se distinguent par leur irréligiosité. La question religieuse ayant bien plus d’importance morale pour les femmes que pour les hommes, il est intéressant d’apprendre (p. 421) que la différence entre les criminelles et les femmes honnêtes à ce point de vue est bien plus tranchée qu’entre les criminels et les honnêtes gens de leur sexe. Le détachement des pratiques de la religion est beaucoup plus fréquent parmi les criminelles que parmi les normales. — Ainsi, dans un même pays et un même milieu, le criminel est en moyenne moins attaché à sa religion que l’homme normal. De même, il s’intéresse moins que celui-ci à la politique. Si l’on divise les normaux aussi