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dentes les malfaiteurs des normaux. Cela est étrange. Il n’est donc plus permis d’appeler un assassin un monstre ? — Enfin, les anomalies d’origine morbide, apparues depuis la naissance (cicatrices, paralysie faciale, troubles de la circulation, difformités des organes génitaux, carie précoce des dents, pâleur extrême, etc.), abondent beaucoup plus chez les délinquants que chez les personnes normales. « La disproportion vraiment énorme que nous trouvons ici entre celles-ci et ceux-là montre clairement que dans les anomalies de cet ordre réside le caractère physique le plus important du délinquant. » Les lésions à la tête, par exemple, se présentent 125 fois dans le groupe des 507 coquins de Marro ; 9 fois seulement parmi ses 100 honnêtes gens. Or l’importance de ces lésions est grande, en tant qu’elles peuvent, dit Marro, servir à expliquer force altérations cérébrales dont elles seraient la cause. C’est juste ; mais je me demande aussi bien si ces coups reçus à la tête ne seraient pas à l’inverse l’effet d’un tempérament querelleur explicable par des particularités du cerveau. Dans quel compartiment de ce casier d’anomalies placerons-nous le mancinisme (le fait d’être gaucher) et l’ambidextrisme ? Y verrons-nous des phénomènes d’atavisme simien ? Non, car si l’ambidextrisme peut être considéré comme un retour à la vie animale, il n’en est pas de même du mancinisme : les animaux ne sont pas gauchers. Quoi qu’il en soit, il y a deux fois plus de gauchers et d’ambidextres chez les malfaiteurs que chez les normaux ; et, dans le détail, ce sont les incendiaires qui donnent la proportion de beaucoup la plus forte. Or, les incendiaires sont en majorité aliénés. Il y a donc lieu, encore une fois, de regarder les caractères en question comme atypiques et non comme ataviques.

En somme les malfaiteurs se signalent par « une prédominance très grande des caractères pathologiques, moindre des caractères ataviques, et très minime des caractères atypiques ». Que reste-t-il après cela de la thèse du criminel sauvage ? Marro marche sur les traces de Lombroso, mais c’est pour les effacer en grande partie. Il est vrai que la thèse du criminel aliéné, chère aussi à son maître, est renforcée par les coups portés à la précédente. Mais si le malfaiteur est un fou, s’il est malade, si des chutes corporelles ou tous autres accidents de son existence ont fait son malheur et sa honte, ne voit-on pas qu’il mérite pitié ? et l’école positiviste ne se montrerait-elle pas désormais inconséquente avec elle-même, si, acceptant ces prémisses, elle continuait à professer des réformes draconiennes ?

Poursuivons. Le tatouage fréquent des malfaiteurs, mis en lumière par Lacassagne, a été regardé par Lombroso comme un trait de régression à la vie de nos sauvages ancêtres. Pas plus que moi, Marro ne partage cet avis. « Dans certains sanctuaires, dit-il, il existe des artistes spéciaux qui pratiquent le tatouage sur les dévots désireux de porter sur leur corps une empreinte religieuse propre à leur rappeler leur pèlerinage. » D’autre part, il arrive aux marins et aux militaires de se tatouer, par suite de la réclusion forcée à certaines époques de l’année