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dont nous avons à parler. L’école naturaliste, il est vrai, oppose à ces écrits une accumulation d’observations et d’expériences conduites suivant l’impulsion magistrale de Lombroso ; mais encore est-il à remarquer qu’au résultat de ses efforts prolongés, des remaniements successifs apportés à sa doctrine première, soit par le maître, soit par ses disciples les plus éminents, tels que Marro, cette école même est conduite à émettre des doutes sur des points qui lui paraissaient acquis, à rejeter dans l’ombre en somme le signalement corporel du délinquant et à ne retenir presque du type criminel que des traits cérébraux, psychologiques, bien près de se résoudre en effets sociaux. Nous allons résumer succinctement l’ouvrage capital de Marro et le fouillis original de Battaglia. Après quoi, il sera hautement instructif de voir comment, je ne dis pas en France ni en Italie, où la philosophie du droit pénal de M. Franck et les idées de Beccaria sont bien connues, mais au sud des Pyrénées, le vieux spiritualisme juge nos nouveautés positivistes sous la plume d’un de ses représentants les plus autorisés.

Le gros volume de Marro traite le même sujet que l’Uomo delinquente et suivant la même méthode anthropométrique, mais avec bien plus d’ordre, de clarté et de netteté. L’auteur y étudie 507 criminels et 35 criminelles, presque tous Piémontais, tournés et retournés en tous sens, mesurés de la nuque à l’orteil, sans oublier les mains. Il leur oppose 100 individus honnêtes, d’honnêteté garantie et vérifiée soigneusement, appartenant d’ailleurs aux mêmes milieux que les délinquants et à la même race. Il s’agit de préciser enfin, de caractériser définitivement, à l’aide de ce contraste, le type criminel. Que ce type existe, en effet, c’est ce que les anthropologistes, depuis longtemps déjà, s’accordent assez unanimement à reconnaître ; mais si on leur demande en quoi il consiste, l’unanimité est loin de se maintenir entre eux. Sans doute, dans son vestibule historique, très rempli d’érudition sobre et triée avec soin, l’auteur nous apprend que, dès le xviie siècle, Porta dessinait un portrait générique du malfaiteur non sans des rapports frappants avec le type de Lombroso : oreilles grandes, joues longues, etc. Il nous rappelle aussi que Socrate ne pouvait souffrir Théététe parce que celui-ci avait le nez écrasé. Mais il est forcé de reconnaître que les signalements généraux du criminel tracés par les savants les plus compétents de nos jours sont disparates « et parfois même opposés les uns aux autres » ; que « la capacité cranienne, trouvée supérieure à la normale chez les assassins par Bordier, Meyer et Dalbmester, a été trouvée inférieure par Ferri et Benedickt ; » que « la stature et le poids des délinquants, supérieurs à la moyenne, d’après Lombroso, sont inférieurs d’après Thompson, Virgilio et Lacassagne » ; etc. Les recherches de Marro sont-elles de nature à faire cesser tous ces conflits ? Le lecteur en jugera. Résumons-les. Chez les normaux, la taille moyenne est de 1 m. 65 ; chez les délinquants, de 1 m. 63. Le poids moyen, chez les premiers, est de 65 kilog. ; chez les seconds, de 56. Le