Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 24.djvu/626

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
622
revue philosophique

Le nom de Descartes est plusieurs fois prononcé. Le P. Noël, qui avait été régent au collège de La Flèche, ménageait volontiers dans le philosophe l’ancien élève de cette maison. Et même, quoique péripatéticien de profession, il n’avait pas d’éloignement pour la philosophie nouvelle. Son plus grand désir semblait être de concilier les opinions des anciens avec celles des modernes en physique, et Descartes écrivait au mois de novembre 1646, précisément à propos d’un ouvrage de cet auteur : « qu’il était heureux de reconnaître que les Pères de la compagnie de Jésus ne s’attachaient pas tant aux anciennes opinions, qu’ils n’en osaient proposer aussi de nouvelles[1]. » Or, dans sa seconde lettre à Pascal, le P. Noël soutenait deux choses : que le vide apparent du tuyau est rempli d’une matière « ignée, dilatée, mêlée parmi tous les éléments, et étendue dans tout l’univers » ; et que la suspension du vif-argent doit être attribuée au poids de l’air extérieur. Pascal ne manqua pas de remarquer que, sur ces deux choses, la pensée du P. Noël ne différait aucunement de celle de M. Descartes. « Il convient avec lui, disait-il, dans la cause de la suspension du vif-argent, aussi bien que dans la matière qui remplit l’espace » [2]. Mais les péripatéticiens aussi soutenaient que tout est plein dans la nature, et en cela le P. Noël n’avait point de peine à se mettre d’accord avec Descartes : la matière subtile ou l’éther de celui-ci pouvait se confondre, à des yeux superficiels, avec la matière ignée, dilatée, etc., de ses adversaires.

Or Pascal combat cette opinion dans la lettre à M. Le Pailleur. Sans doute il vise principalement le P. Noël ; mais, comme lui-même a remarqué que l’opinion du P. Noël est ici celle de Descartes, il atteint aussi ce dernier. La lettre à M. Le Pailleur peut donc nous tenir lieu de la lettre à Descartes que nous n’avons plus, et peut-être Pascal, en répondant au jésuite, pensait-il également au philosophe. Ne peut-on supposer au moins que deux lettres, écrites sur le même sujet et dans le même temps, renferment, peu s’en faut, les mêmes idées ?

De bonne heure Descartes avait eu le dessein de traiter la science de la nature ou la physique comme une dépendance de la mathématique qui seule peut satisfaire l’esprit par l’évidence et la certitude de ses raisons. Pour cela il considérait dans les corps ce qu’il y a de géométrique seulement, c’est-à-dire les figures, grandeurs et situations des parties, et n’y voyait qu’une suite de cette propriété fondamentale qui serait l’essence même de la matière : l’étendue à trois

  1. Baillet, Ib., t.  II, p. 284-285.
  2. Lettre de Pascal à M. Le Pailleur, t.  III, p. 58 de la petite édition, in-18, Hachette.