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ADAM.pascal et descartes

« La nature, dit-il, est toujours semblable à soi…, ses causes agissent sans cesse d’une même manière… Mais il n’en est pas ainsi de l’art : il s’augmente ou se perd, selon que l’industrie des hommes s’accroît ou se relâche. » Et au lieu d’un progrès sans fin et sans interruption de nos connaissances, il suppose plutôt parfois des arrêts et des reculs : « Certaines choses ont fait comme le fleuve Alphée, qui, se perdant en Achaïe, après avoir coulé bien loin sous la mer, renaît finalement en Sicile près la fontaine Aréthuse. » Pascal trouvera d’autres accents, et une comparaison autrement grandiose, quoique moins juste, quand il montrera toute la suite des hommes, pendant le cours de tant de siècles, comme un même homme qui subsiste toujours et qui apprend continuellement. Mais le fond des idées est à peu près le même déjà dans le discours de Guiffart.

Rappelant les expériences de Pascal, « ceux qui sont philosophes, dit-il, ne les peuvent voir sans admiration, et ceux qui ne le sont pas le deviennent en les considérant ». Lui-même le devint, ce semble, plus qu’il n’était besoin, si l’on en juge par le titre pompeux qu’il mit à son ouvrage : Discours du vide….. auquel sont rendues les raisons des mouvements des eaux, de la génération du feu et des tonnerres, de la violence et des effets de la poudre à canon, etc. C’était entreprendre l’explication de bien des choses à la fois, et cette présomptueuse annonce n’était pas moins contraire au véritable esprit de la science que les thèses surannées des péripatéticiens. Plusieurs cependant s’y laissaient prendre, et le petit livre de Guiffart est précédé de treize pièces de vers, dont plusieurs sonnets en son honneur, où on lui donne, sans marchander, la gloire d’être le premier à expliquer par le raisonnement ce que Pascal n’avait fait qu’établir par des expériences.

Mais il est temps de quitter ces noms et ces ouvrages inconnus, où l’on voit seulement quel était alors l’état des esprits, et de rechercher ce que pensaient sur la question du vide Pascal lui-même et Descartes.

III. Conversation de Pascal et de Descartes.

Descartes, qui s’était décidé à un second voyage en France, arriva à Paris au mois de juin 1647, vers la Saint-Jean. Il alla en Bretagne, en Poitou, en Touraine, avec l’abbé Picot, et ne fut de retour à Paris qu’au commencement de septembre. Pascal s’y trouvait alors, pour soigner sa santé, et Descartes désira le voir, « à cause de la grande