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tenait que la nature souffre un espace non pas seulement vide de toute matière qui tombe sous les sens, mais, disait-il, vide absolument. Il se déclarait ainsi contre les péripatéticiens, qui enseignaient que tout est plein dans la nature et qu’elle a horreur du vide.

Un docteur en médecine et professeur de philosophie au collège de Rouen, le sieur Piérius, répondit au nom des péripatéticiens, pour expliquer suivant leurs principes toutes les nouvelles expériences, sans admettre aucunement le vide[1]. Il refusait même de croire à la pesanteur de l’air qui, contrebalançant du dehors le poids du vifargent suspendu dans le tuyau, serait ainsi la cause de cette suspension. Et malgré l’opinion contraire qui commençait à prévaloir, les péripatéticiens, disait-il, pensent qu’il n’y a pas du tout de pesanteur dans l’air[2].

Le traité latin de Pierius provoqua à son tour une réponse en français. Elle était de Pierre Guiffart, aussi docteur en médecine et agrégé au collège de Rouen, témoin des expériences de Pascal, et qui s’y montrait favorable, comme il le fut plus tard encore aux découvertes de Pecquet sur le chyle et les veines lactées, homme de progrès enfin, et qui choisit pour épigraphe de son livre une phrase de Sénèque, dont le sens est que la vérité est comme un pays ouvert à tous, personne ne l’occupe encore, et il est même pour une bonne partie à découvrir[3]. Çà et là Guiffart exprime à peu près les mèmes idées que l’on retrouve dans la fameuse Préface de Pascal sur le Traité du vide. Sans doute ils se connaissaient, et s’étaient mainte fois entretenus à Rouen de ce sujet qui les intéressait tous deux. Guiffart ménage d’abord les anciens : « leurs autorités doivent être les oracles qui terminent nos doutes, et les arrêts souverains qui décident nos différends, » mais seulement, ajoute-t-il, « lorsque le fil de notre raison se trouve trop court, pour nous conduire dans le labyrinthe des difficultés. » Il veut « qu’on examine curieusement les choses, avec un esprit désintéressé ; … après quoi, ni le respect de l’antiquité ni l’aversion de la nouveauté ne doivent aucunement empêcher de prononcer. » Et il montre en regard de l’ordre toujours stable, toujours le même, qui règne dans la nature, le progrès, ou tout au moins le changement qui est le propre des choses humaines.

  1. Jacob Pierius, Ad experientiam nuperam circa vacuum, R. P. Valeriani Magni demonstrationem ocularem, et Mathematicorum quorumdam nova cogitata’’(Responsio ex peripatetica Philosophiæ principiis desumpta, 1648).
  2. Ib., p. 20 : « Primo vellem non recurrisset ad gravitatem aeris prementis omnia hæc inferiora….. Peripatetici putant nihil omnino esse gravitatis in aere. »
  3. « Patet omnibus veritas, nondum est occupata, multum etiam ex illa futuris relictum est. » (Senec. Epist., I, 33.) Discours du vuide sur les expériences de monsieur Paschal et le traicté de M. Pierius (Rouen, 1647).