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collège de Rouen, et un savant de ses amis, Adrien Auzout, qui en envoya une relation à Gassendi[1]. Cela eut lieu à la fin de 1646 et au commencement de l’année suivante. La conclusion de Pascal fut « qu’un vase ou vaisseau, si grand qu’on pourra le faire, peut être rendu vide de toutes les matières connues en la nature et qui tombent sous nos sens. »

Ces expériences firent grand bruit à Paris où elles devinrent cet hiver l’entretien de tous les savants[2]. Le P. Mersenne et Roberval, curieux de s’assurer si l’espace vide est entièrement privé d’air, songeaient même à y enfermer de petits animaux, pour voir s’ils vivraient, et Gassendi consulté affirmait à l’avance que non, certainement[3]. Pendant ce temps Pascal n’avait rien publié sur ce sujet. Il voulait y réfléchir davantage, et préparait un grand Traité du vide. Pour le décider à donner, en attendant, au public un petit abrégé de ses découvertes, il fallut les circonstances suivantes.

La lettre envoyée par Petit à M. Chanut en Suède avait sans doute été communiquée à d’autres, et, d’ailleurs, on ne l’avait pas tenue secrète en France même. Donc, en juillet 1647, un capucin de Varsovie, le P. Valérien Magni, fit lui-même l’expérience avec succès, et en tira aussitôt cette conclusion, que le vide est possible dans la nature. Il écrivit là-dessus une dissertation en latin, qui parut au mois de septembre à Varsovie. On fut vite averti de ce dessein à Paris, et Pascal, qui s’y trouvait depuis le commencement de l’été pour sa mauvaise santé, se hâta d’écrire un petit abrégé de ses expériences, parce que, dit-il, « les ayant faites avec beaucoup de frais, de peine et de temps, j’ai craint qu’un autre qui n’y aurait employé le temps, l’argent ni la peine, me prévenant, ne donnât au public des choses qu’il n’aurait pas vues, et lesquelles par conséquent il ne pourrait pas rapporter avec l’exactitude et l’ordre nécessaire. » La vérité scientifique était donc intéressée à cet écrit, non moins que sa propre réputation. L’abrégé parut en octobre 1647. Pascal distingue avec soin ses nouvelles expériences et celle d’Italie, dont il se reconnaît redevable à M. Petit[4].

  1. Pour ces détails, voir la lettre de Pascal à M. de Ribeyre, du 12 juillet 1651, Œuvres de Pascal, petite édit. in-18, Hachette (t.  III, p. 74-75), et les Opera omnia de Gassendi, Lyon, 1658 (t.  I, p. 204, col. 2).
  2. Le sieur de Saint-Ange, capucin, raconta à Rouen, en février 1647, « qu’il avait entendu parler de cette expérience à Paris, devant que de venir en cette ville, en une compagnie où on avait fait très grand état dudit sieur Pascal » (publié par V. Cousin, Bibl. de l’École des Chartes, 1842-1843, t.  IV, p. 119).
  3. Gassendi, Opera omnia, Lyon, 1658 (t.  I, p. 206, col. 2).
  4. Voici les titres des deux ouvrages : 1o Demonstratio ocularis loci sine locato, corporis successive moti in vacuo, etc., par le P. Valerianus Magnus. L’approbatio est datée de Varsaviæ, die 16 julii 1647, et l’auteur dit lui-même : hæc scribebam