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à Paris avec le P. Mersenne. Celui-ci avait appris dès 1644 un fait bien étrange, observé en Italie : on remplissait de vif-argent un tuyau de verre, fermé par un bout, et, tenant l’autre extrémité bouchée avec le doigt, on le redressait et le faisait tremper dans une cuvette pleine de la même liqueur ; le vif-argent, au lieu de tomber dans la cuvette, restait suspendu dans le tuyau, ou du moins ne tombait qu’en partie. L’année suivante, le P. Mersenne, étant allé à Rome, s’enquit avec soin de la chose, et en rapporta même un mémoire écrit. De retour à Paris, il le communiqua à M. Chanut, résident du roi en Suède, et tous deux essayèrent de reproduire le phénomène, mais sans succès. M. Chanut partit ensuite pour Stockholm, et Mersenne s’adressa à Petit qui réussit avec son habileté ordinaire. Ce fut cette curieuse expérience qu’il raconta aux messieurs Pascal, aussitôt arrivé à Rouen.

Ils convinrent ensemble qu’à son retour de Dieppe il la répéterait devant eux. C’est ce qu’il fit, en effet, au mois d’octobre 1646, trois fois de suite, et la nuit seule, ainsi que l’obligation de partir, put les séparer[1]. Ils s’étonnèrent d’abord de ce vide qui paraissait au-dessus du vif-argent dans le haut du tube : la nature n’en avait donc pas horreur, comme on l’enseignait dans l’école. Bien plus, le vide devenait plus grand ou plus petit à volonté suivant que l’on haussait ou baissait le tube, sans retirer toutefois de la cuvette l’extrémité qui y trempait. Enfin, ayant versé de l’eau sur le vif-argent de la cuvette, et soulevé le tube jusqu’à ce que l’extrémité ouverte se trouvât dans cette eau, ils virent avec étonnement celle-ci monter jusqu’au haut du tube, le remplir ainsi tout entier, et se mêler au vif-argent, du moins pendant quelque temps, après quoi celui-ci redescendait et l’eau restait seule au-dessus : l’espace que le vif-argent avait laissé vide, était donc aussitôt envahi par l’eau.

Sur le conseil de Mersenne, Petit écrivit à M. Chanut toutes ces particularités. Sa lettre est de novembre 1646, et plusieurs copies en furent distribuées en France[2]. Si elle ne fut pas imprimée dès lors, comme le véritable procès-verbal de l’expérience, c’est que, raconte Petit lui-même, « un de ses plus intimes, qui avait beaucoup

  1. Cette date précise d’octobre 1646 est indiquée dans un ouvrage que nous citerons plus loin d’un sieur Pierius, Ad experientiam nuperam circa vacuum.’. (Rouen, 1648) : « Annus numerabatur 1646, mensis vero October, cum hæc philosopharer apud Rothomagenses… Dominus Petit qui eodem mense hanc experientiam eadem in urbe cum successu tentaverat… » (P. 13.)
  2. Nous avons cité plus haut tout au long le titre de cet opuscule. Quant à la date précise, on lit sur la couverture : 10 novembre 1646, et à la fin de la lettre : à Paris, le 19 novembre 1646.