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ADAM.pascal et descartes

On reprend ici ce problème, qui intéresse l’histoire des sciences non moins que celle de la philosophie, et qui aide à bien apprécier, avec le caractère même et la tournure d’esprit des deux personnages, la valeur des méthodes suivies par l’un et par l’autre. Et puis, sans aller jusqu’à dire, comme on l’a fait, que ces expériences du vide contribuèrent plus que Galilée, Descartes et Bacon à renverser la scolastique et à ruiner l’autorité d’Aristote en matière de physique[1], il y eut là cependant un combat décisif livré par Pascal aux péripatéticiens ; et les victoires de la science, comme les appelle Descartes, valent bien qu’on en fasse le récit exact, en essayant de retracer les mouvements des adversaires en présence et surtout la manœuvre finale, avec le même soin qu’on pourrait prendre à étudier, par exemple, la bataille de Rocroi.

I. Expériences de Rouen.

Au mois d’octobre 1646, Étienne Pascal et son fils reçurent à Rouen la visite d’un sieur Petit, qu’ils avaient connu à Paris, sans doute en 1638, lorsqu’il fit des objections à la Dioptrique de Descartes et même aussi à la partie métaphysique du Discours de la méthode. Depuis il était devenu cartésien, au moins en ce qui concerne l’existence de Dieu et la spiritualité de l’âme, à la grande satisfaction du philosophe qui mandait au P. Mersenne qu’il y a toujours plus de joie dans le ciel pour un pécheur converti que pour mille justes qui persévèrent[2]. Petit, intendant des fortifications, était en outre le plus habile expérimentateur peut-être qu’il y eut alors en France. Il avait fait sur la réfraction de presque tous les corps transparents, solides et liquides, des expériences qui se trouvaient conformes aux vues théoriques de Descartes. Il en avait fait d’autres avec Gassendi, sur la chute des corps. Enfin il se rendait à Dieppe, pour s’assurer si, comme le lui répétait depuis cinq ans un homme de Marseille, on pourrait descendre au fond de la mer et y demeurer cinq ou six heures avec une machine[3].

En passant à Rouen, il s’arrêta donc chez son ami M. Pascal, et l’entretint, ainsi que son fils, d’une expérience qu’il venait de faire

  1. Ces paroles sont du regretté Ch. Thurot, dans un excellent article de la Revue archéologique (1869, t.  XX, p. 17), sur le Principe d’Archimède, auquel j’emprunterai aussi beaucoup dans la suite.
  2. Baillet, Vie de M. Descartes, Paris, 1691, t.  I, p. 353-355.
  3. Détails empruntés, ainsi que bon nombre de ceux qui suivent, à un opuscule intitulé : Observation touchant le vide faite pour la première fois en France, contenue en une lettre écrite à M. Chanut, résident pour Sa Majesté en Suède, par M. Petit, intendant des fortifications (Paris, 1647, in-4o). Pierre Petit, de Montluçon, vécut de 1598 à 1677.