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avec les autres hommes. Si la liberté du vouloir existait autrement que dans l’esprit des métaphysiciens, les actions humaines ressembleraient à celles des aliénés, car la liberté d’indifférence marquerait l’action d’inconséquence. Postuler cette liberté, c’est-à-dire le pouvoir d’agir sans raison suffisante, c’est renoncer à expliquer la volonté humaine (Voy. une critique du travail de M. Delbœuf, p. 237 et s.). S’il était vrai que deux actions pussent se produire indifféremment dans le même temps, il s’ensuivrait que la même chose peut à la fois être et ne pas être.

La liberté exclut même, selon M. Riehl, la responsabilité. Qui serait responsable, étant vraiment libre ? L’agent n’est facteur qu’au sens du déterminisme. L’agent libre qu’on voudrait châtier pour une faute commise ne serait déjà plus le même au moment où on l’en accuserait. Rée, pour sortir du dilemme, a abandonné la responsabilité avec la liberté[1]. M. Riehl estime, au contraire, qu’un être est vraiment responsable dès qu’il se sait responsable, mais que la question de responsabilité n’a rien à faire avec celle de liberté. La responsabilité, dit-il, est un phénomène de morale sociale, et ressort comme tel à la psychologie sociale. La seule hypothèse d’âmes substantielles, de consciences individuelles ressemblant à des atomes isolés, y fait obstacle. Les hommes ne se jugent pas comptables d’une action parce qu’elle est libre, mais parce que l’expérience en a montré la valeur sociale. Un homme laissé à lui-même agirait comme l’animal, et le problème n’existerait pas pour lui.

Il en résulterait que la généralisation de l’acte serait bien la forme de la loi morale, au sens kantien. L’éducation, d’autre part, devrait porter sur le faire, et elle agirait indirectement par le faire sur le caractère.

Passant à la critique du problème cosmologique de l’infini (chap. iv), M. Riehl juge que la preuve, donnée par Kant, de l’infinité du temps, est incomplète, et que sa preuve de l’infinité de l’espace n’est pas valable. Il établit, lui, que l’unité de la conscience et l’unité du monde se répondent, et il sépare d’abord le concept logique du monde, sorti nécessairement de l’unité de pensée, du concept sensible et empirique. Comment le temps et l’espace seraient-ils de pures intuitions, quand nous y arrivons par la sensation ? Ils sont des phénomènes finis dans la connaissance (et c’est ce que l’esthétique transcendantale prouve bien), que le monde soit d’ailleurs fini ou infini. Comme la représentation de la grandeur de masse est déterminée par le principe de la conservation de la force, celle de l’existence du monde dans le temps reçoit sa détermination du principe de causalité. Commencement et fin sont des représentations concernant les rapports des phénomènes dans le temps, mais ils ne s’appliquent point à la totalité du monde, qui n’est pas dans ces rapports

  1. Voy. la critique de la brochure de Rée, in Revue philosophique, fév. 1886.