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pas sans intérêt pour les savants mêmes qui négligent délibérément les problèmes difficiles dont il y est traité.

La philosophie dont M. Riehl définit le problème (chap. i de la 1re section) n’est pas celle des Grecs, ni celle de Hegel, et elle n’est pas davantage la systématisation encyclopédique de Comte ou schématique de Herbert Spencer ; elle reste science et critique de la connaissance, au sens kantien, pour la partie théorique, doctrine de la sagesse pour la partie pratique.

Mais qu’est-ce que la connaissance] ? Chaque fait physique, nous dit M. Riehl (chap. ii), est le signe d’un fait psychique déterminé ; un pur fait physique n’est qu’une abstraction, et les lois physiques sont les lois de nos sensations. Le concept de la chose en soi sert bien à établir la liaison du phénomène à la réalité, laquelle demeure indépendante de nos représentations ; mais Kant a eu tort de prêter à la chose en soi, sous le nom de noumène, une valeur plus haute qu’au phénomène qui en est révélateur. Cette liaison établie entre nos perceptions, et qui constitue la science, ne peut pas d’ailleurs être perçue, et cette impossibilité marque la limite véritable de la connaissance.

La sensation est à la racine de la connaissance. Or, elle est quelque chose de subjectif, et il est besoin d’un acte de l’entendement pour la changer en intuition objective, pour créer l’objet, comme le veut Schopenhauer, ou pour le reconnaître, ainsi que le dit Helmholtz. Le non-moi n’est pas pour cela une illusion ; un groupe de sensations très particulier, liées au toucher passif, apprend bientôt à l’enfant à le distinguer du moi. Il résulte seulement de cette doctrine que le lieu de la sensation visuelle, par exemple, ne se distingue pas du lieu de la perception ; qu’on ne voit pas les images optiques, mais qu’elles sont des images virtuelles ; et, en définitive, que nos intuitions sensibles sont les objets immédiats du savoir (chap. iii).

M. Riehl rencontre dans son chemin les évolutionnistes, qui ont touché à tout. Il dénonce avec raison (chap. iv) la transposition de sens continuelle dont vit la métaphysique de Spencer, et il reproche aussi à Spencer d’avoir accepté pour loi l’évolution, qui était pour Darwin un résultat de lois, un résultat qu’il s’agissait d’expliquer. En un appendice au chap. iii, il proteste particulièrement contre la prétention de quelques-uns à appliquer simplement les lois de l’évolution organique à l’évolution mentale. C’est confondre, dit-il, la recherche transcendantale, traitant des conditions de l’expérience, avec la question de psychogenèse qui la suppose. L’a priori est une condition générale, et ne peut être un résultat. L’innéité d’une certaine forme de représentation, sortie même de l’expérience de l’espèce, ne fait de cette forme, en aucune manière, une condition a priori de la connaissance pour l’individu. La philosophie transcendantale traite des formes logiques de l’expérience, non des formes psychologiques ; et ces formes logiques, venues de l’échange des pensées, ont une origine historique, mais non pas une origine biologique.