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sérieuses. Et c’est ici le cas de dire à M. Martin qu’il se trompe, à notre avis, en soutenant que « le moment favorable pour entretenir les jeunes gens de la pédagogie est celui où ils cessent d’être des écoliers pour devenir des étudiants ».

Passe encore si les cours de pédagogie institués auprès des Facultés étaient, non pas facultatifs, mais obligatoires. Autrement je crains fort que la jeunesse n’accoure avec peu d’empressement à des leçons dont on ne lui a pas appris, dès le collège, à sentir tout au moins l’importance. M. Charles Bigot le disait naguère avec raison : « On ne désire pas ce que l’on ignore… Même arrivés à l’âge d’homme, la plupart ne voient de la vie et du monde que ce qu’on leur a appris à voir, ils ne regardent qu’avec les lunettes qu’on a mises sous leurs yeux. Et j’ajouterai que, quand même des curiosités nouvelles s’éveilleraient en eux, le plus souvent il leur serait bien difficile de les satisfaire. Toute étude nouvelle, pour être vraiment sérieuse, suppose à ses débuts un certain nombre de notions techniques qui ne s’apprennent guère qu’à l’âge où la mémoire est docile[1]… » L’hygiène absolument, et la pédagogie à beaucoup d’égards, voilà de ces connaissances dont il faut avoir eu l’avant-goût sur les bancs de l’école.

Enfin, M. Martin prend parti dans une question sérieuse entre toutes, depuis bien longtemps discutée, et sur laquelle on n’a pas dit sans doute le dernier mot. Il est malheureusement trop prouvé que la vertu n’est pas identique à la science, ni le vice à l’ignorance. Chez les criminels de profession et les récidivites, l’ignorance est générale ; mais « la criminalité n’est pas un sûr critérium de la moralité ». Avec l’instruction la manière dont les tendances mauvaises se satisfont, peut bien changer, mais ce n’est que la surface, le fond persiste. Spencer a raison contre Maudsley : l’instruction, l’enseignement moral n’ont de bons effets que s’ils arrivent dans des âmes bien disposées. L’étude des sciences physiques, par exemple, développe chez celui qui découvre la patience, l’humilité, la véracité, c’est la règle générale, mais « le savant lui-même, en dehors de ses études spéciales, ne montre pas toujours les qualités qui lui sont nécessaires pour y réussir ». C’est peut-être, objecterons-nous à M. Martin, qu’il n’a pas reçu lui-même une éducation conforme à l’esprit de ces sciences. En ce qui concerne celui qui apprend, ne pourrait-on pas dire, avec l’auteur d’un très bon livre sur la matière : « Le savoir, quand il est bien donné, est ordre, est discipline, est carrure de l’esprit ; c’est une plus grande quantité de raison répandue dans le monde, et, à tout prendre, une élévation de l’existence humaine au-dessus des conditions de sa nature animale[2].

M. Martin a raison de ne pas trop surfaire l’influence de la littérature et des beaux-arts sur le caractère. « Le fonds primitif de l’âme, le carac-

  1. Questions d’enseignement secondaire, p. 34.
  2. Nicolas Fornelli, Notre idéal de l’éducation, in Rivista italiana di filosofia, janvier 1887. — V. aussi, du même auteur, le livre l’Educazione moderna.