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ANALYSES.martin. Éducation du caractère.

se contenter d’une détermination générale et approximative du caractère individuel, comme celle que la graphologie essaye de nous donner ? La formule assez large et assez précise d’un caractère n’est pas impossible à découvrir. Et n’est-ce pas en vue de la trouver, que l’éducateur, suivant les conseils de M. Martin lui-même, doit observer attentivement chaque enfant ?

Deux chapitres à méditer, et dont la lecture nous laisserait un peu tristes, si nous n’avions pas affaire à un penseur avant tout optimiste, sont ceux qui traitent de l’hérédité et de la folie dans leurs rapports avec l’éducation. M. Martin accepte presque sans réserves la psychologie de l’hérédité, telle qu’elle est comprise par Ribot, Maudsley, etc. Mais il est loin d’adopter, pour sa part, le méliorisme de Spencer. « En se plaçant au point de vue des nouvelles théories scientifiques, n’est-il pas à craindre que la culture exquise de l’esprit et du cœur affinant l’un et l’autre et développant la délicatesse de la conscience, ne mette ceux qui la reçoivent trop au-dessous des réalités grossières, ne les rende incapables des folies, des vilenies et des violences qui sont en partie les éléments du succès et n’amène la défaite des familles dans lesquelles se transmet un héritage trop beau et trop pur ? » Ce n’est là qu’un des aspects de cette grave question. L’éducation moderne se borne-t-elle, en effet, à développer les plus fines qualités de l’intelligence et les plus nobles qualités du caractère ? Oublie-t-elle cette pratique vertu de la prudence sans laquelle toutes les autres s’en vont à vau-l’eau ? Notre idéal est aussi de faire, de l’homme raisonnable, un animal adroit et rusé. Et puis, comme l’auteur le dit fort bien, « l’hérédité tend sans cesse à se corriger elle-même, parce qu’elle agit dans les sens les plus divers ». Il restera toujours chez l’homme assez du primitif et grossier égoïsme, pour qu’il sorte habile et fort, bien armé pour la lutte de la vie, d’une discipline qui ne sera ni rétrograde, ni déprimante, ni exclusive.

M. Martin est, je crois, le premier qui ait parlé de la folie dans un traité de vulgarisation pédagogique. Il est navrant de penser que les parents et les maîtres attribuent souvent « à des défauts de caractère, les actes dont la folie seule est responsable ». Trop souvent la maladie mentale n’est pas assez caractérisée pour qu’on la soupçonne ; on ignore surtout « qu’il y a des actes de folie partielle affectant seulement les actes et les produisant sans aucune adhésion de la volonté, ou affectant la volonté et les sentiments, tout en laissant l’intelligence plus ou moins intacte ». L’éducateur devrait être préparé par ses études premières à reconnaître dans un enfant les marques d’une lésion plus ou moins grave du système nerveux, lésion souvent héréditaire. Mais sans parler de tare morbide proprement dite, cet état général de faiblesse et d’excitabilité nerveuse, auquel on a donné le nom de nervosisme, et qui se répand aujourd’hui avec une progression effrayante dans les classes élevées et les classes moyennes, appelle les soins d’une pédagogie attentive et douce, d’une hygiène scolaire et familiale des plus