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bitudes lentement formées et transmises d’âge en âge, et qu’il ne fasse consister le rôle de l’éducation à accorder ou refuser leur aliment, c’est-à-dire l’occasion de s’exercer, à telles ou telles tendances naturelles, c’est-à-dire innées. Avec M. Martin métaphysicien, le débat ne saurait être long ; avec M. Martin pédagogue, on s’entendra toujours.

Je ne crois pas que l’auteur ait négligé aucun des renseignements essentiels que nos pédagogues anciens ou récents ont mis à son service. Mais il a fait mieux encore, il a corrigé en bien des points leurs théories ou leurs conclusions ; il leur a donné, en se les assimilant, le cachet de sa personnalité ; il les a repensées avec une bonne foi, un zèle d’honnêteté, une confiance dans l’éducation, qui font de son livre une œuvre distinguée, et même à beaucoup d’égards un livre original.

Détachons de cette étude, pour les mettre en lumière convenable, quelques chapitres qui ont particulièrement attiré notre attention. C’est d’abord le chapitre III, où l’auteur prend position psychologique pour préciser le sens du mot caractère. Il entend par là la manière dont chacun sent et veut, et surtout la manière dont chacun se détermine et persiste dans ses déterminations. Il ne va guère au delà de cette définition préjudicielle. On voit que l’éthologie, cette science du caractère, que Stuart Mill, et, après lui, M. Marion, ont déclarée faisable, n’a pas tenté M. Martin. Il effleure avec une discrétion singulière cet immense problème, que d’autres, à l’étranger, ont abordé avec une hardiesse par trop confiante. On pourrait, dit-il, classer les individus en deux grandes catégories : ceux en qui dominent les instincts égoïstes, et ceux en qui dominent les instincts altruistes ; les uns et les autres se subdiviseraient ensuite d’après l’instinct ou le groupe d’instincts qui dominent dans leur égoïsme ou leur altruisme. En se plaçant au point de vue de la volonté, il y aurait lieu d’établir une nouvelle classification : d’un côté les individus à volonté forte, de l’autre les individus à volonté faible. Mais quelle tâche complexe et embrouillée que de classer les individus en se plaçant à la fois à tous ces points de vue ! Et combien d’autres points de vue il reste encore à utiliser ! Combien d’éléments, variés en puissance, et diversement combinés, constituent les caractères ! Une classification simplifiée serait celle qui déterminerait un caractère d’après une faculté dominante : mais cette faculté, dont M. Taine a suivi les traces avec tant de rigueur, existe-t-elle, en réalité ? La plupart du temps, chez l’adulte, et à bien plus forte raison, chez l’enfant, où tout paraît en voie de formation, « le caractère est un assemblage incohérent des qualités les plus diverses, souvent opposées, qui se heurtent, se gênent, se secondent, s’équilibrent entre elles…, et la vie, au lieu d’être un développement mécanique et logique suivant une loi dont il s’agit de trouver la formule, « un système nécessaire de mouvements prévus », n’est qu’une suite d’actions diverses, où il y a bien des facteurs différents, parmi lesquels il faut accorder une large place aux circonstances, aux hasards, à l’éducation, etc. Mais ne peut-on