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DURKHEIM.la morale en allemagne

disposition ses sœurs jumelles et par l’application de cette méthode empirico-historique, qui sans se laisser abuser par des idées préconçues examine les faits de l’ordre moral avec autant d’impartialité que le naturaliste les phénomènes naturels ; quand, dis-je, l’éthique de l’avenir aura de cette manière résolu la partie empirique de son problème, le philosophe de profession pourra venir et faire la synthèse (II, 124-128). »

Ce passage marque en même temps le point de vue de l’auteur. C’est en juriste qu’il va parler de droit et de morale. Tout son livre est dominé par une idée qui est exposée, il est vrai, avec plus d’abondance que de précision et de profondeur, mais qu’il était pourtant fort utile de rappeler aux moralistes. Depuis Socrate, les philosophes ont pris l’habitude de ramener la réalité à des combinaisons de concepts ; ils croient expliquer la vie tant de l’individu que de la société en la réduisant à un système d’idées abstraites, logiquement liées. Cependant, en procédant de cette manière, ils n’aperçoivent des choses que les cadres généraux dans lesquels elles se meuvent ; mais le ressort qui les meut leur échappe. Vivre ce n’est pas penser, c’est agir, et la suite de nos idées ne fait que refléter le flot des événements qui s’écoulent perpétuellement en nous. « Si l’on donnait à la pierre la faculté de penser, elle n’en serait pas moins la pierre ; tout ce qu’il y aurait de changé, c’est que le monde extérieur viendrait se mirer en elle comme la lune sur la surface de l’eau. » Vivre c’est essentiellement affirmer son existence par un acte d’énergie personnelle (aus eigener Kraft). Or ce qui sollicite l’action, c’est la représentation d’une fin. La cause finale, voilà donc le grand moteur de notre conduite, et par conséquent il n’y a qu’un moyen d’expliquer les faits de la vie intérieure, c’est d’en montrer le but. Il en est naturellement de même de la vie sociale ; et puisque le droit est un phénomène sociologique, il faut, pour en rendre compte, chercher quelle en est la fin. Démontrer une règle de droit ce n’est pas prouver qu’elle est vraie, mais qu’elle sert à quelque chose, qu’elle est bien ajustée à la fin qu’elle doit remplir (richtig). « La juste appropriation (Richtigkeit) est la règle de la pratique comme la vérité est la règle de la théorie (I, 437). »

On peut assurément reprocher à M. Ihering de n’avoir guère approfondi ce concept de la fin. Le plus souvent il semble entendre par là la représentation consciente du but, ou du moins d’un des buts de la conduite. Si tel est le sens du mot, il est une foule de nos actions d’où toute représentation de fin est absente. Que de fois nous agissons sans connaître le but où nous tendons ! Les expériences de suggestion dans l’état hypnotique sont venues illustrer par de