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ANALYSES.martin. Éducation du caractère.

de lui marquer, dans un autre domaine, des limites qu’il ne doit pas franchir ? Quelles que soient les préventions trop répandues, même chez des esprits distingués, et malgré des périodes d’anarchie, la philosophie progresse ; en philosophie comme ailleurs, rester stationnaire, c’est s’exposer fatalement à se laisser dépasser. Il est juste d’ajouter qu’il n’est pas nécessaire d’initier indifféremment tout le monde à ces hautes recherches, alors qu’elles se font. Encore cette réserve est-elle superflue : ces spéculations se défendent trop bien d’elles-mêmes par leur difficulté contre l’indiscrétion des profanes, jusqu’au jour où elles sont assez avancées, assez mûries pour être répandues sans inconvénient. Je veux dire que pour des écoliers, qui ont besoin d’un enseignement aux contours arrêtés, le livre de M. Vallet, en attendant mieux, peut rendre des services ; il serait utile aussi aux gens du monde, qui ont entendu parler de doctrines plus ou moins pernicieuses et qui veulent être rassurées contre elles. Mais ceux qui sont plus soucieux de la vérité que de leur repos, et qui sont en état d’entendre ces questions, regretteront que l’auteur n’ait presque rien trouvé à louer dans la philosophie moderne, qu’il n’en ait pas mieux compris la haute portée, qu’il n’ait pas senti la nécessité, non de la combattre, mais d’en dégager, pour se les approprier, les principes essentiels. Ils se diront sans doute que cette philosophie s’applique surtout à développer le précepte si profond de Socrate, et qu’il y a ainsi plus de continuité qu’on ne croit dans le progrès de la pensée humaine ; ils se demanderont enfin si un saint Thomas aurait, comme M. Vallet, jugé infranchissable l’abîme qui sépare Aristote et Kant.

A. Penjon.

A. Martin.L’éducation du caractère, in-12, 372 p. Hachette, 1887.

Je suis heureux de signaler ici un livre qui doit beaucoup aux recherches des psychologues contemporains, et qui, par certains côtés, peut satisfaire tous les philosophes. Je ferais, pour ma part, quelques réserves pour la métaphysique ; mais ce n’est pas là ce qui gâtera jamais un bon livre. Je passe donc sur la façon un peu décisive dont l’auteur, qui prétend ne pas l’aborder, tranche la question de la liberté. Je lui reprocherais plutôt d’avoir traité à l’ancienne, malgré les emprunts faits à Preyer et à Sikorski, la question si complexe de la volonté, et d’avoir négligé de parti pris, ce semble, l’excellente monographie de M. Ribot, tout en ayant si bien profité du livre de l’Hérédité. Il est vrai que, dans la pratique, et c’est ce qui importe le plus dans un livre comme celui-ci, il accorde beaucoup d’attention aux nouvelles théories, et fait une part très large au déterminisme de l’hérédité, des mobiles, de l’habitude et de l’imitation. Peu s’en faut qu’à l’exemple des éducateurs plus ou moins transformistes, il ne voie dans les instincts des groupes d’ha-