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ANALYSES.p. vallet. Kantisme et positivisme.

et, dans tout son chapitre sur le moi, M. Vallet ne paraît pas s’être douté un seul instant de la véritable position du problème. Autant les positivistes s’appliquent à perdre de vue cette réalité du moi pensant, autant il s’attache à une psychologie primitive et grossière pour laquelle la même méthode sert à découvrir, sinon par intuition, du moins par raisonnement, la réalité de deux substances en nous, l’âme et le corps. Nous n’en sommes plus là, il faut bien le lui dire : la méthode de réflexion, la seule qui convienne à la psychologie proprement dite, ne conduit pas à ces résultats qui lui paraissent si simples ; bien plus, la vraie science de l’âme, comme on l’a fort bien dit, n’est pas la psychologie, mais la métaphysique.

Et, pour la métaphysique, que deviennent cette unité et cette identité de l’âme, sur lesquelles on s’appuie couramment pour marquer la distinction des deux prétendues substances ? Ici et là, l’unité et l’identité sont, à le bien prendre, purement subjectives. Ce sont des apparences que revêt la suite des faits, en vertu d’une loi fondamentale de la pensée, et ce n’est pas dans ce qui change qu’il faut chercher une véritable unité, une véritable identité. Mais, dira-t-on, c’est une règle « d’écarter toute solution compliquée, dont nous n’avons pas besoin pour rendre compte des phénomènes » (p. 29). La question est précisément de savoir si nous n’en avons pas besoin, si c’est de gaieté de cœur que nous compliquons les solutions.

Il m’est plus difficile encore d’approuver le chapitre où l’auteur traite du non-moi, ou du monde extérieur. Ici, en effet, le progrès de la philosophie, son changement, si l’on veut, paraît définitif. Ou je me trompe fort, ou l’idéalisme, au regard de la matière, est la doctrine dominante de notre temps, et des écoles, d’ailleurs des plus diverses, s’accordent à en proclamer la vérité. M. Vallet veut nous ramener à l’ancienne croyance. On devine ses arguments : ils ont été cent fois rebattus. Mais je ne vois pas la raison de cet attachement à une théorie surannée, dont il n’est pas bien sûr qu’Aristote lui-même l’ait professée comme on le propose. A-t-il peur de contrarier le sens commun ? Le sens commun ne perd rien, que je sache, à la doctrine bien comprise de l’idéalisme qui ne lui enlève pas une sensation, et il peut y gagner beaucoup. C’est une manière de voir qui donne à l’homme un sentiment plus profond de sa dignité, l’élève au-dessus des choses avec lesquelles il est trop porté à se confondre et, en le mettant hors de pair, accroît la notion du respect qu’il doit à ses semblables et se doit à lui-même. Les savants, de leur côté, n’ont rien à reprendre à un système qui leur laisse toute liberté d’action et dépasse simplement, sans les gêner en rien, la portée de leurs observations. Cette nature dernière des choses, dont l’idéalisme prétend rendre compte, enveloppe, en quelque sorte, le champ où s’appliquent les instruments, où la mesure et le calcul trouvent leur emploi, et, quand le savant se repose de sa tâche de savant, rien ne l’empêche de faire cette sorte de transposition dont j’ai parlé ailleurs, par laquelle on peut superposer ces deux domaines distincts de la phi-