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ANALYSES.p. vallet. Kantisme et positivisme.

sapientiæ divinæ ; sed quando recedit a Deo tunc vertitur in insipientiam[1]. »

Il serait puérile de contester que la raison humaine traverse une période d’anarchie, et tous les bons esprits doivent aspirer à la faire sortir au plus tôt de cette crise. Il n’est pas moins manifeste que le meilleur moyen d’y parvenir serait de rétablir la foi en l’absolu. Mais je doute que M. Vallet ait pris pour y réussir le meilleur chemin. C’est une tendance naturelle de croire, quand on est mécontent du présent, qu’il n’y a qu’à revenir en arrière. Le remède n’est pas si simple. Le passé, en philosophie comme ailleurs, a contre lui d’être précisément le passé et il est impossible de le faire revivre, c’est-à-dire de renoncer, malgré leurs inconvénients transitoires, aux idées nouvelles. Certaines hypothèses, pour ne leur donner que ce nom, ne font pas vainement leur apparition dans le monde. Elles viennent à certaines heures et l’humanité ne les oublie plus. Tout effort pour s’en affranchir, quelle que soit la pureté de l’intention, est nécessairement stérile. On ne le voit nulle part avec plus d’évidence que dans ce livre de bonne volonté.

Il se divise naturellement en deux parties : la première traite de la philosophie spéculative ; la seconde, de la philosophie morale, avec un dernier chapitre sur le surnaturel. Cette seconde partie se laisse lire plus volontiers. Le style rappelle trop souvent celui de la prédication ; mais il y a là bon nombre de vérités qu’on pourra présenter d’une autre façon, rattacher à d’autres principes, qui n’en resteront pas moins, ce qu’elles ont toujours été, comme le patrimoine inaliénable de la race humaine, et je concède aisément que ce sera la pierre de touche de tout système que de s’accorder plus ou moins avec ce fonds commun de vérités morales.

Mais c’est la philosophie spéculative qui a le plus changé dans les temps modernes, c’est aussi la première partie de ce livre qui me paraît la moins bonne, la plus difficile à défendre. Elle est même un peu enfantine en certains passages, et il ne saurait guère en être autrement quand on fait abstraction, comme fait l’auteur, des travaux de Berkeley et de Hume, quand on se contente, comme lui, pour réfuter la doctrine de l’idéalité du temps et de l’espace, de répéter quelques banalités qui prouvent plutôt qu’on ne l’a pas comprise[2]. Il est vrai que M. Vallet s’en rapporte au sens commun presque autant qu’à saint Thomas. Or c’est peut-être pour la philosophie la principale cause de son peu de progrès qu’elle paraît relever du sens commun. Les sciences ont sur elle cet avantage qu’elles se sont dégagées plus vite de cet amas de préjugés qui en avaient si longtemps empêché le développement. Elles ont livré leur dernière bataille à ce dangereux ennemi dans le procès, si je ne me trompe, de Galilée, et la condamnation de ce savant a pré-

  1. Introd., passim.
  2. Voir pp. 47-51.