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ANALYSES.paulhan. Les phénomènes affectifs.

nous pouvons nous distraire, mais toujours nous sentons en nous, non pas l’impression première, mais un élément qui la remplace momentanément, et qui donne à l’état de conscience un ton particulier : ainsi la disposition mauvaise que nous laisse envers une personne une impression pénible autrefois éprouvée, et peut-être oubliée, mais qui revient en sa présence ; le signe subsiste, il n’est plus compris. — N’y a-t-il pas là simplement réveil d’un ancien sentiment appelé par association ?

La seconde classe des faits sensibles comprend les sensations affectives. Elles correspondent aux sentiments présentatifs de M. Spencer et se distinguent des sentiments ordinaires en ce qu’elles « ne se rapportent pas à des groupes de tendances très complexes, ayant pour fin la systématisation générale de l’homme ou de ses rapports avec le milieu. » L’arrêt des tendances est ici bien manifesté par ce fait que l’habitude, en facilitant les rapports de l’excitation et de l’organisme, diminue la sensation affective ; mais la multiplicité des phénomènes et leur incoordination sont peu marquées. La troisième classe est celle des émotions. Plus l’émotion est forte et mieux apparaissent les caractères des causes qui la provoquent. L’un des principaux c’est la force et la soudaineté de l’arrêt qui amène la désorganisation brusque d’un système de tendances, comme il arrive à la mort d’une personne aimée. La force nerveuse ainsi dégagée ne peut se dépenser d’une manière systématique : de là cette grande multiplicité de phénomènes de tout ordre qui accompagnent l’émotion et la rendent si envahissante pour la conscience.

Chap. III. — Les lois de production des phénomènes affectifs composés. — On s’est occupé jusqu’à présent des phénomènes affectifs sans songer à leur simplicité ou à leur composition. Cependant il est des cas où les diverses tendances s’harmonisent au point que la conscience paraît occupée par un seul sentiment et qu’il faut l’observer attentivement et le décomposer par l’analyse ou le recomposer par la synthèse pour en apercevoir la complexité ; dans d’autres cas, au contraire, l’esprit paraît éprouver deux sentiments à la fois. Il arrive aussi que la conscience est dans un état de trouble profond, résultant de la lutte de deux tendances de force presque égale et qui ne peuvent coexister ; enfin il existe, au moins chez certaines personnes, des tendances assez fortes, assez organisées, assez liées aux autres groupes de tendances pour qu’aucune tendance opposée ne puisse engager contre elles de lutte sérieuse et apparaître à la conscience. C’est que l’homme ne possède ni l’unité métaphysique, ni l’unité fonctionnelle qu’on lui a prêtées ; plusieurs systèmes d’associations diverses coexistent ou se succèdent en lui, et l’on peut se demander avec M. Taine s’il n’est pas constitué par plusieurs systèmes psychiques, et si chaque système ne forme pas une sorte de moi qui, tout en étant conscient pour lui-même, resterait caché à la conscience des autres. Au sujet des phénomènes affectifs, le problème se pose en ces termes : l’esprit peut-il éprouver à la fois deux sentiments différents ? peut-il