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à produire le phénomène affectif. Ainsi, quand une tendance ne présente ni force ni persistance, il est rare que son arrêt donne lieu à une émotion. D’autre part, si nos idées changent peu à peu, nous n’en sommes guère affectés, tandis que si nous passons brusquement d’une croyance à une autre, ce moment est marqué par l’apparition de sentiments très vifs, c’est qu’une lutte s’établit entre les anciennes associations fortement constituées et les nouvelles qui leur livrent l’assaut. L’esprit se désorganise en partie. Enfin, le plus souvent au moins, une émotion violente tend à envahir la conscience et à l’absorber tout entière sans permettre à aucun autre phénomène de s’y faire jour. Tous ces caractères étudiés avec une grande science d’observation ne sont que les aspects divers d’un même fait, cause unique du phénomène affectif : le dégagement d’une quantité considérable de force psychique qui ne peut se dépenser sous une forme systématique. Or si l’on admet que l’automatisme complet est l’état parfait, idéal de l’organisme, le phénomène intellectuel est l’indice d’un trouble léger et d’un défaut de systématisation peu grave, tandis que le phénomène affectif est l’expression d’un trouble plus profond.

Chap. II. — Les conditions de production des différentes classes de phénomènes affectifs. — Le deuxième chapitre va nous exposer à quelques redites, car il s’agit de rechercher quelles variations subissent les lois générales précédemment énoncées dans leurs applications aux divers phénomènes affectifs, et ces variations sont malheureusement peu nombreuses et peu nettes. D’autre part, les nuances que l’auteur distingue dans la multitude des faits sensibles ne sont pas toujours elles-mêmes très faciles à saisir. Considérés en eux-mêmes, ces faits peuvent se diviser, d’après M. Paulhan, en trois classes : 1o les passions, les sentiments, les impulsions affectives et les signes affectifs ; 2o les sensations affectives ; 3o les émotions.

Le premier groupe a pour caractère principal d’être produit par des tendances qui se distinguent, à quelque degré au moins, par leur persistance et leur organisation. Passions et sentiments sont pris ici dans le sens ordinaire, nous ne nous y arrêterons pas. Il n’en est pas de même des impulsions et des signes. On sait que les phénomènes intellectuels sont souvent substituts les uns des autres ; dans le domaine de l’affectivité se présentent des substitutions analogues. « La passion et le sentiment peuvent être remplacés, quand ils disparaissent momentanément, pour une cause ou pour une autre, par un substitut particulier, qui est une impulsion affective quand ce substitut a pour effet de déterminer directement un acte s’il ne rencontre pas d’obstacles suffisants pour l’en empêcher, et un signe affectif s’il n’aboutit que très indirectement à un acte, et s’il doit entrer seulement comme élément dans la formation d’autres états de conscience plus complexes » (p. 73). L’impulsion, dans les exemples cités, ressemble bien à la tendance simplement affaiblie ; quant au signe, a-t-il une valeur plus réelle ? Lorsque nous avons éprouvé, nous dit-on, une impression très forte et qui persiste,