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avec la science du droit devait de plus en plus s’en pénétrer. C’est en effet ce qui est arrivé. En 1878, M. Jellineck, professeur à la faculté de droit de Vienne, publia un ouvrage dont le titre indique l’esprit : Le sens du droit, de l’action délictueuse et de la peine au point de vue de la morale sociale[1]. Mais c’est surtout dans les deux énormes volumes que M. Ihering, le professeur de Goettingen, a publiés sur La fin dans le droit[2], qu’il faut aller chercher la conception nouvelle de la philosophie du droit.

La page suivante indique fort clairement les lignes générales de la méthode qu’il convient désormais d’appliquer à l’éthique :

« L’ancienne conception philosophique de l’éthique, dit M. Ihering, en faisait une branche de la psychologie et une sœur jumelle de la logique ; la conception théologico-chrétienne, une branche de la théologie et une sœur jumelle de la dogmatique ; notre conception à nous en fait une branche de la science sociale et une sœur jumelle de toutes ces disciplines qui comme elle se placent sur le terrain solide de l’expérience historico-sociale, c’est-à-dire de la jurisprudence, de la statistique, de l’économie politique, de la politique. De cette manière, l’accès de l’éthique est ouvert au représentant de ces différentes spécialités ; il peut non seulement l’enrichir en lui fournissant des matériaux précieux qu’il a empruntés à sa propre science, mais encor e la faire progresser en y apportant une conception personnelle qu’il doit justement à ces études spéciales…

« Le nombre des disciplines qui sont en état de tendre à l’éthique une main secourable n’est d’ailleurs en aucune manière restreint à celles que je viens de dire, et je suis moi-même prêt à en utiliser d’autres pour les fins que je me propose. Il y a d’abord la science du langage dont j’espère pouvoir établir par de nombreuses preuves la haute utilité pour l’analyse des idées morales. Il y a ensuite la mythologie. Avec l’étymologie, elle est le témoin le plus ancien et le plus sûr que nous puissions consulter sur les premières idées morales des peuples ; ces deux sciences réunies forment comme la paléontologie de l’éthique… À un autre point de vue, une autre discipline, la pédagogie, est appelée à rendre d’importants services à l’éthique, comme nous pourrons nous en convaincre quand nous traiterons la question de la formation de la volonté morale… Quand, par l’introduction de tous ces éléments nouveaux que mettront à sa

  1. Socialethische Bedeutung von Recht, Unrecht und Strafe. Une étude de ce livre appartiendrait d’ailleurs plutôt à un travail sur la criminologie allemande.
  2. Der Zweck im Recht. Le 1er vol. , 2 édit., a paru en 1884 et compte 570 pages ; le second, 722 pages grand in-8o, a été édité en 1886. L’ouvrage n’est pas encore terminé.