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ANALYSES.paulhan. Les phénomènes affectifs.

pulsion, l’impulsion reste partiellement entravée, aussi tend-elle à se dépenser par des cris et des gestes. C’est tant que dure ce superflu d’excitation, c’est-à-dire cette tendance arrêtée, que dure aussi le phénomène affectif. Le plaisir et la douleur en tant que phénomènes affectifs supposent donc une condition générale commune. C’est à la psychologie particulière qu’il appartient de rechercher quelles conditions particulières rendent agréable ou pénible l’un ou l’autre de ces phénomènes. — Nous ne doutons pas pour notre compte que l’arrêt d’une tendance ne soit la cause de la douleur, nous croyons même volontiers que toute tendance se ramène à un : commencement d’acte ignoré de la conscience ; mais en voulant expliquer le plaisir par des conditions identiques, M. Paulhan ne fait-il pas quelque confusion ? Dans les cas cités, du plus humble au plus élevé (plaisir physique, satisfaction morale, jouissance esthétique), l’émotion agréable provient du libre exercice de la tendance, et quand il s’y mêle quelque peine, comme dans l’attrait du fruit défendu, s’il y a réellement arrêt de tendance, c’est non pas à cause de cet arrêt, mais malgré lui et grâce à un commencement d’excitation que le plaisir a pu naître. Quoi qu’il en soit, quelques observations importantes confirment la théorie générale exposée dans ce premier chapitre. Ainsi, quand les impulsions d’une certaine force viennent à manquer, les sentiments font également défaut ; on l’explique à tort en disant que le sentiment est la cause de l’action : il n’en est que le résultat. Les périodes où l’on est le moins poussé à agir sont celles où l’on est le plus indifférent. Les expériences sur l’échauffement des centres nerveux, sur l’afflux du sang au cerveau en sont autant de preuves scientifiques.

La production des émotions est marquée par un second caractère que l’on pourrait déduire a priori du caractère précédent, c’est la multiplicité des phénomènes nerveux et conscients. La force nerveuse absorbée par la tendance doit en effet se dépenser en produisant d’autres phénomènes. Ces phénomènes concomitants sont de diverses sortes : 1o des phénomènes physiques connus sous le nom d’expression des émotions et qui manifestent à un haut degré l’arrêt des tendances en ce que les mouvements sont souvent l’ébauche de gestes que commanderait la systématisation générale de l’organisme ; 2o des phénomènes fonctionnels tels que la sécrétion des larmes ou de la bile, la paralysie des nerfs ; 3o des phénomènes psychiques : à la suite de l’émotion s’éveille en effet toute une série d’idées ou de sentiments parfois logique, parfois incohérente. C’est ainsi que, dans l’attente d’une personne qui ne vient pas, mille suppositions invraisemblables assaillent notre esprit ; et plus est forte l’impulsion arrêtée, plus elle provoque d’associations de moins en moins systématisées et raisonnables, comme l’excitation qui se propage à travers la moelle épinière et éveille des réflexes toujours plus lointains.

D’autres caractères secondaires ont cependant leur importance en ce sens que, s’ils viennent à manquer, les précédents ne peuvent suffire