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Cela est-il en opposition avec la loi de la persistance de la force ? Oui, si l’on fait de cette loi une loi absolue, sans restriction ; non, si l’on prend cette loi dans le sens où il faut la prendre, dans un sens relatif, expérimental. Dans ce dernier sens, elle se formule ainsi : La quantité de force persiste sensiblement la même. » Et ailleurs : « Nous croirons donc que l’avenir ressemblera au passé, sans tomber pour cela dans un fétichique respect vis-à-vis des lois de la science positive. Nous les regarderons comme à peu près et sensiblement certaines, ainsi que l’expérience d’ailleurs nous montre qu’elles sont. » Certes, dans un système déterministe aussi il y a bien des lois scientifiques qui ne sont que des à peu près, mais pour le déterministe c’est la faute de la loi, qui ne serre pas les faits d’assez près. Si donc M. Fonsegrive affirme en somme que le libre arbitre ne nuit pas à la science, il faut comprendre que la science est interprétée par lui comme elle ne l’est pas en général.

On le voit, nous aboutissons à deux conceptions du monde opposées, dans l’une, chaque état de l’univers est à ce moment le seul possible, les faits se succèdent selon des lois invariables que l’homme d’ailleurs ne connaît qu’imparfaitement ; dans l’autre, au contraire, les lois de succession ne sont en elles-mêmes que des à peu près, la succession est à peu près constante, la quantité de force est toujours approximativement la même, de temps en temps des commencements absolus se produisent dans l’ordre physique peut-être, surtout dans l’ordre intellectuel et moral, de nouveaux faits apparaissent sans que leur apparition soit déterminée. Les deux systèmes dépassent tous les deux l’expérience, mais le premier semble s’y conformer davantage : il ne fait, à ce qu’il semble, que continuer jusqu’au bout la voie qu’ont tracée les investigations successives qui ont permis de connaître de plus en plus la détermination des faits.

M. Fonsegrive n’accepte pas ce système : il tient pour le libre arbitre. Si j’ai surtout discuté ses théories, c’est que le libre arbitre me paraît la moins bonne hypothèse. Mais je ne voudrais pas terminer sans louer la hauteur des vues, la vigueur de pensée, la clarté et l’élévation qui se font remarquer à chaque instant dans le livre que je viens d’analyser et qui marque un progrès important sur la manière dont les adversaires du déterminisme ont en général traité la question.

Fr. Paulhan.

Fr. Paulhan. Les phénomènes affectifs et les lois de leur apparition ; essai de psychologie générale. Paris, Alcan, 1887.

L’ouvrage publié sous ce titre est la première partie d’un travail d’ensemble que M. Paulhan nous fait espérer sur la psychologie générale. Les lecteurs de la Revue philosophique ont eu mainte fois déjà l’occasion d’apprécier la méthode et les idées principales de l’auteur. Ils retrouveront ici les mêmes procédés d’observation scientifique, le