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ANALYSES.g. fonsegrive. Le libre arbitre.

quelconque ne peut connaître que ce qui est déterminé. Cela ressort de l’analyse même des termes.

En traitant les conséquences du libre arbitre, M. Fonsegrive me paraît avoir quelquefois oublié sa définition du libre arbitre. M. Fonsegrive a certes l’esprit assez large et assez droit pour ne pas faire au déterminisme les objections vulgaires qu’on devrait bien désormais lui épargner. « Les choses les moins libres, dit-il, ont des valeurs différentes. Un déterministe peut donc parler de valeur et de dignité. Il n’a le droit sans doute d’attribuer à rien une valeur absolue, car pour lui aucune partie de l’ensemble ne peut être dite absolue ; tout est relatif à tout. Mais il a le droit de parler de la haute valeur, de l’incomparable dignité de la personne humaine, etc. » Cependant il donne en morale une valeur très particulière au libre arbitre. « Sans doute, dit-il, le libre arbitre n’a de valeur que par rapport au devoir ; mais, sans le libre arbitre, le devoir lui-même ne saurait être accompli. C’est une conséquence admise même par les déterministes que, si le libre arbitre existe, l’ordre qu’il crée est un ordre moral complètement séparé de l’ordre physique, de l’ordre sensible et même de l’ordre purement intellectuel. C’est par la liberté de son arbitre que l’homme réalise l’ordre moral. » Mais les déterministes peuvent parfaitement nier cette valeur morale de l’indéterminisme. Qu’ajoute à la moralité même d’un acte ce fait que l’acte ne pouvait être prévu avec certitude avant d’être réalisé et que l’acte contraire était également possible ? Un caissier assez honnête pour ne pouvoir même avoir l’idée de voler son patron, à plus forte raison pour être absolument incapable de voler, est-il moins moral que celui qui ne volerait pas par suite d’un acte libre, c’est-à-dire imprévisible et accompli après une délibération raisonnée ? D’autre part, je ne vois guère pourquoi on ne pourrait accomplir son devoir que par le libre arbitre, en d’autres termes, pourquoi on ne pourrait accomplir son devoir que si l’on peut également ne pas l’accomplir. »

Les conséquences esthétiques que M. Fonsegrive tire du libre arbitre sont également contestables. « La question des rapports du libre arbitre avec l’esthétique peut, dit-il, être considérée sous un triple aspect. On peut se demander d’abord si la beauté d’un être ou d’un objet individuel a quelque rapport avec la liberté de cet être ; on peut se demander ensuite si le monde du déterminisme dans son ensemble est plus beau que le monde où règne le libre arbitre ; on peut enfin se demander si le système déterministe est plus favorable à la production du beau que le système qui ne l’admet point. » L’auteur examine successivement ces trois questions.

Sur le premier point il établit, en partant des objets les plus simples, des lignes géométriques, que « la beauté augmente à mesure que la variété devient plus riche et l’unité plus puissante ». La finalité a ainsi une grande importance au point de vue du beau. Toutefois, « la beauté est… quelque chose qui vient s’ajouter à la fin comme un luxe et un superflu… Or ici il faut bien reconnaître que ce qui nous plaît,