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lieu de lui en faire une critique, mais bien plutôt de se féliciter de voir que les opinions religieuses les plus opposées peuvent quelquefois s’unir pour approuver les mêmes tendances et les mêmes actes, ou plutôt des tendances d’ordre analogue, car je crois bien qu’au fond il n’y a pas identité ou même analogie d’un système à l’autre. M. Fonsegrive fait une bonne critique de la vie des passionnés et des désœuvrés ; il met en regard la vie du sage, dont il dit : Chacun de ses desseins particuliers n’a d’autre but que la réalisation de l’ordre. Pour l’art de s’affranchir, l’auteur renvoie à l’Imitation, à la Perfection chrétienne de Rodriguez, à l’Introduction à la vie dévote de saint François de Sales, etc. « Ceux qui auront le courage de les lire ne sauront ce qu’ils doivent le plus admirer, de la connaissance profonde du cœur humain dont ils témoignent ou de la haute vertu, de l’ardent amour du bien dont ils sont le fruit. Mal instruits par une psychologie superficielle et trop immatérialisée, les auteurs laïques modernes ont considéré comme futiles les pratiques recommandées par certains auteurs… C’est justement la psychologie la plus récente, la plus neuve, la plus hardie qui s’accorde le mieux avec les préceptes de ces vénérables auteurs. Le lecteur s’en apercevra peut-être s’il veut bien lire ce chapitre, dont tous les détails sont puisés chez eux. » La lecture en est en effet intéressante et profitable. Sans doute il est difficile d’être toujours d’accord avec l’auteur, sans doute on se dit aussi que sur le point même où l’on s’entend sur une manière générale de voir les choses on ne s’entendrait plus ni si l’on descendait aux détails, à la manière de réaliser l’idée, ni si l’on remontait à l’idée directrice suprême. Il n’en reste pas moins que l’on peut y rencontrer des vérités trop oubliées.

III. — Je voudrais examiner à présent quelques détails du livre de M. Fonsegrive, quelques objections ou quelques arguments, quelques-unes aussi des conséquences qu’il déduit du libre arbitre. M. Fonsegrive par exemple a trouvé sur sa route le problème de l’accord de la prescience divine et de l’indétermination définitive. Il a voulu conserver ces deux termes, qui sont, à mon avis, contradictoires. Sa réponse est déjà connue : « Dieu voit tout dans un éternel présent, c’est-à-dire qu’à parler à la rigueur il ne prévoit pas, il voit. Or en quoi celui qui voit mon action influe-t-il sur cette action ? en quoi la connaissance détermine-t-elle la chose connue ? C’est bien plutôt la chose connue qui détermine la connaissance. » Sans doute, mais la chose connue ne peut déterminer la connaissance que si elle est déterminée elle-même ; or, par hypothèse, l’action libre est indéterminée tant qu’elle n’est pas accomplie. Son contraire est, en soi, aussi possible qu’elle, il existe virtuellement autant qu’elle. Comment une indétermination absolue peut-elle être connue par une intelligence infinie autrement que comme une indétermination absolue ? Il y aurait là une contradiction manifeste. Dieu se tromperait s’il connaissait un acte qui par hypothèse n’est pas, et dont le contraire a, comme dit l’auteur, « une possibilité effective » jusqu’au moment où l’un des possibles est réalisé. Une intelligence