Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 24.djvu/531

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
527
ANALYSES.g. fonsegrive. Le libre arbitre.

envisagent la vertu et la conséquence, comme s’appliquant seulement à des actes contraints, ou non intelligents, ou soumis à d’autres conditions que celles qui le déterminent en réalité. Nous verrons que cela est arrivé à M. Fonsegrive, qui cependant a rejeté l’argument paresseux, si universellement employé en pareil cas. Examinons celui qu’il nous propose. Le partisan du libre arbitre joue quitte ou double qu’il prendra toujours une décision contraire à celle qui lui sera indiquée. Or quelles raisons peuvent le déterminer à prendre de telles décisions ? On le voit évidemment, et M. Fonsegrive les indique lui-même : l’esprit de contradiction et l’amour du gain, ajoutons le plaisir de prouver sa théorie. Et quelles sont celles qui peuvent le déterminer à jouer contre ? Ou bien une maladie mentale, par exemple, telle qu’elle le pousserait à faire le contraire de ce qu’il voudrait faire, ou bien un état de suggestibilité tel qu’il ne peut résister à l’ordre donné, etc., nous supposons bien entendu que le parieur garde la vie et l’intelligence ; autrement on ne pourrait lui indiquer un acte ; mais ces causes-là sont forcément très rares, on peut en déterminer la probabilité, très mal sans doute, mais assez approximativement pour que le pari fut insensé ; il pourrait se faire encore que le parieur partisan du libre arbitre se laissât gagner par humanité, par condescendance, etc. Le cas n’est guère probable non plus. Cependant on pourrait trouver des cas tels que l’une de ces circonstances particulières qui pourraient faire gagner le déterministe, s’il acceptait le pari, fût en effet réalisée, par l’hypnotisme par exemple. En ce cas particulier, pourquoi le déterministe ne pourrait-il accepter le pari ? Mais en dehors de ce cas il est parfaitement raisonnable dans son hypothèse même ; en le refusant, il pourrait sans doute gagner quelquefois, mais il perdrait le plus souvent, et les probabilités sont contre lui. Sans doute le déterministe ne connaît pas toutes les causes qui peuvent agir pour déterminer la conduite d’un homme ; mais ce qu’il en sait lui prouve que le pari est absurde et il ne peut se fier sur ce qu’il ne sait pas pour le tenir, puisque précisément il ignore les chances qu’il pourrait avoir et que ce qu’il ignore peut être aussi favorable à son adversaire qu’à lui.

Jusqu’ici je me trouve rarement d’accord avec M. Fonsegrive et je ne puis me laisser convaincre par ses arguments, malgré la netteté et la vigueur du raisonnement de l’auteur. Je suis heureux de dire que son chapitre sur la pratique du libre arbitre, sur le moyen de se conserver libre ou de s’affranchir de ce qui trouble notre liberté, fournit un terrain où jusqu’à un certain point déterministes ou indéterministes peuvent s’accorder. Seulement ce que M. Fonsegrive appelle libre arbitre, ce sera simplement pour les déterministes le libre jeu des tendances supérieures, c’est-à-dire leur indépendance, non pas absolue, mais à l’égard des tendances inférieures. M. Fonsegrive a traité ce chapitre avec profondeur ; il y donne d’excellents conseils et de ce que de nos jours l’on est peu habitué à entendre, et moins encore peut-être à pratiquer. S’il s’inspire de la doctrine catholique, il n’y a pas sans doute