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DURKHEIM.la morale en allemagne

brement de l’ancienne philosophie. Déjà la psychologie a conquis son indépendance ; ce qui l’a tirée hors du cercle des sciences philosophiques, c’est l’affinité qu’elle avait pour les sciences biologiques. Sans doute un jour viendra où elle sera complètement autonome ; mais, en attendant, elle a infiniment gagné à se sentir en contact avec la physiologie. La morale en Allemagne est en train de passer par la même crise ; de plus en plus elle cesse de graviter autour de la métaphysique et de la philosophie générale, attirée qu’elle est dans la sphère d’action des sciences sociales ; c’est par ces dernières qu’elle s’émancipera. Voilà pourquoi ce sont des économistes qui ont été les initiateurs de cette transformation[1].

II

Les Juristes. M. Ihering.

Si la morale est une fonction sociale, ce n’est pas seulement avec les faits économiques qu’elle est en relation, mais avec tous les faits sociaux dont elle dérive et qui en forment le contenu. Cette partie de l’éthique qu’on appelle la philosophie du droit devra donc aller chercher sa matière dans le droit positif. Il est vrai qu’en Allemagne, contrairement à ce qui se passe chez nous, la philosophie du droit n’a jamais été réservée aux seuls philosophes, les juristes s’en occupaient même aux plus beaux temps du Naturrecht et ils lui ont ainsi donné de bonne heure une tournure un peu plus positive. Cependant, comme le droit idéal et le droit réel étaient censés avoir des origines différentes, comme le premier était une conséquence logique de la destinée transcendante de l’homme, tandis que le second était fait pour les besoins de la vie pratique, un pareil rapprochement était assez artificiel et ne pouvait pas être bien fécond. Le mouvement dont nous venons de signaler les origines devait naturellement accentuer cette tendance et la préciser, en lui donnant une raison d’être. La philosophie du droit qui était seulement en contact

  1. On sera peut-être étonné de voir que nous ne disions rien de Lilienfeld, qui dans divers passages de ses Gendanken ueber die Socialwissenschaft der Zukunft a émis sur le droit et la morale des idées assez voisines de celles que nous venons d’exposer (voy. notamment tome I, chap.  27 et III, 11). La raison en est que Lilienfeld n’appartient pas au mouvement que nous étudions. Tous les moralistes dont nous parlons ici voient dans les phénomènes moraux des faits sui generis qu’il faut étudier en eux-mêmes, pour eux-mêmes, par une méthode spéciale. Au contraire, l’unique objet de Lilienfeld est de montrer les analogies des sociétés et des organismes. Si les conclusions peuvent parfois coïncider, le but et l’esprit sont donc tout autres.