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ANALYSES.g. fonsegrive. Le libre arbitre.

M. Fonsegrive ne tâche pas cependant dans ce chapitre de prouver la réalité de l’indéterminisme ; il le décrit plutôt, et indique dans quels cas il peut se manifester. La plupart de nos actes sont déterminés ; les vrais actes de volition sont très rares : or c’est seulement dans ceux-là que le libre arbitre peut apparaître. On remarque en ce cas : « 1o une indétermination intellectuelle, 2o un acte mental, une décision, une sorte de fait et d’effort tout intérieurs, où nous nous sommes sentis agir. Dans toutes les expériences analogues nous sentons toujours deux possibles en présence, et celui qui se réalise est toujours celui vers lequel va notre effort, pour lequel nous nous décidons. Nous sommes ainsi amenés à dire que c’est de notre décision que la réalisation dépend, puisque cette décision est l’antécédent invariable de la réalisation. »

« Comment la décision agit-elle sur les muscles ? Simplement en faisant cesser l’arrêt des tendances. L’acte volontaire ne produit pas l’action musculaire, mais lui laisse le champ libre… Ainsi ce qui est libre, ce n’est pas l’action, mais la décision, la résolution. »

Ayant ainsi compris le libre arbitre, M. Fonsegrive n’hésite pas à l’attribuer à un pouvoir de l’âme. Voici sa théorie ; je ne la discuterai pas, cela nous entraînerait trop loin, et d’ailleurs ce que j’ai dit sur le mécanisme de l’activité psychique indique suffisamment les objections qui me paraissent valables ; on pourrait y ajouter toutes les raisons bien connues qui plaident contre l’existence d’une âme indépendante. La force de l’esprit agit « pour rompre l’indétermination dans la question du bonheur. Or quels sont les éléments de cette indétermination ? Ce sont les représentations contraires du bien sensible et du bien intelligible qui s’opposent et se balancent. Or, pour que ces représentations puissent être comparées, il faut que nous ayons l’idée universelle du bien. Mais la fonction génératrice de la représentation de l’universel ne peut pas être une fonction organique, car toute fonction organique n’est, en dernière analyse, qu’un ensemble déterminé de mouvements à trajectoire définie, et par suite toute fonction organique est singulière et point du tout universelle. Il faut donc que la représentation de l’universel ou, pour l’appeler de son nom, la pensée, se produise indépendamment des organes… C’est donc dans l’âme seule que le bien intelligible a pu s’opposer au bien sensible et que cette opposition a pu constituer une indétermination. Par son immatérielle nature elle échappe ainsi aux lois rigoureuses du mécanisme des corps. Pour rompre cette indétermination, il a fallu qu’elle intervienne : aussi s’est-elle sentie intervenir. » Remarquons seulement qu’une idée de l’âme, si universelle qu’elle puisse être, sera toujours individuelle et particulière en tant que se produisant à tel moment et chez tel individu ; d’un autre côté, il existe dans l’homme des tendances générales des associations organiques qui ne constituent pas des tendances à tel ou tel mouvement en particulier, mais à telle ou telle espèce de mouvements ; ce sont ces tendances qui constituent le caractère ; il ne semble pas par conséquent que l’idée.